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Méga-incinérateurs, CSR : stop aux projets fumeux !

L’incinération des déchets connaît ces dernières années un regain d’intérêt, notamment sous forme de CSR. Loin d’être une source d’énergie “verte” et “décarbonée”, son développement est en totale contradiction avec les enjeux de prévention des déchets.

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Un développement de l’incinération déconnecté des ambitions de prévention

Entre 2006 et 2022, les tonnages entrants dans une installation d’incinération en France ont augmenté de plus de 12,7%, jusqu’à atteindre 14,3 millions de tonnes de déchets. Cette tendance va de pair avec la réduction des tonnages entrants en installations d’enfouissement : pour la première fois en 2022, les tonnages envoyés en incinération dépassent les tonnages envoyés en enfouissement. Alors que les objectifs de baisse du recours à l’enfouissement étaient censés s’accompagner d’une diminution des déchets résiduels, ils se sont en réalité traduits par un transfert des tonnages vers l’incinération.

Alors que les installations françaises ne sont pour l’heure pas au maximum de leurs capacités réglementaires, ces dernières années ont vu fleurir sur le territoire national des projets d’agrandissement, affichant des capacités de traitement massives, ainsi que des projets de remplacement d’énergies fossiles par des chaudières CSR (combustibles solides de récupération). Ces projets prévoient d’ailleurs d’incinérer de plus en plus de déchets d’entreprises ; une pratique préoccupante, permettant de financer la gestion des déchets du secteur privé par de l’argent public.

« En augmentant massivement la capacité d’incinération, on condamne notre territoire à brûler des déchets pendant des décennies, alors qu’on devrait tout faire pour les réduire à la source. » Jean-Pierre Le Lan, militant Zero Waste Pays d’Auray

Les déchets, une énergie “verte” et “décarbonée” ?

C’est aujourd’hui un nouveau rapport aux déchets qui s’impose : autrefois problème dont il fallait gérer la résolution, ils sont désormais appréhendés comme une ressource valorisable dans le cadre de la politique énergétique de la France. Depuis quelques années, la nécessité de produire une énergie “verte”, “décarbonée”, “locale” à partir de nos déchets, voire de renforcer la souveraineté énergétique de la France – dans un contexte géopolitique tendu – est devenue l’une des principales justifications de ces projets d’agrandissement.

C’est pourtant à tort que l’incinération est considérée à la fois comme renouvelable, et comme une source d’énergie à faible teneur en carbone : les ordures ménagères résiduelles, considérés comme une énergie d’origine renouvelable, résultent pourtant d’un gaspillage de matière considérable.

Plus encore, l’énergie produite par l’incinération des déchets reste très faible par rapport au mix énergétique français : la combustion des déchets concourt à une production totale permettant de couvrir moins de 1 % de la consommation d’énergie de la France. Faire de la production d’énergie via l’incinération des déchets un enjeu clé pour notre mix énergétique semble ainsi très peu réaliste au regard de l’existant et des possibilités de développement.

Des effets notoires sur l’environnement et la santé bien documentés

L’incinération s’est imposée comme un mode central de traitement des déchets en France, malgré des impacts sanitaires et environnementaux massivement documentés. Derrière les cheminées, des substances toxiques invisibles comme les dioxines, métaux lourds, particules fines, PFAS et oxydes d’azote sont relâchées dans l’air, les sols et les organismes vivants, dont les conséquences sont souvent sous-estimées, mal mesurées, voire ignorées par les autorités sanitaires.

Pourtant, les preuves scientifiques s’accumulent, les observations de terrain également : ces substances contaminent les milieux et les chaînes alimentaires bien au-delà des périmètres des usines, et exposent les populations à des risques sanitaires élevés, en particulier pour les publics vulnérables. Alors que les seuils réglementaires actuels ne garantissent pas une protection suffisante, il est urgent de revoir les normes, de renforcer les contrôles et surtout d’imposer une véritable transparence.

“L’arrêté du 12 janvier 2021 impose des mesures de surveillance des incinérateurs, mais elles sont largement insuffisantes. Les données des capteurs de l’incinérateur d’Ivry-Paris XIII révèlent que durant 7 000 heures sur 2 fours en 2 ans, l’appareil d’échantillonnage des dioxines n’a pas fonctionné.” Mathilde Rousseau, Membre du Collectif 3R

Un pari coûteux sur l’avenir

L’incinération est une méthode coûteuse de gestion des déchets, principalement en raison des investissements qu’elle nécessite, financés par de l’argent public. Les installations d’incinération bénéficient en outre d’incitations financières dès lors qu’elles permettent une valorisation énergétique : réduction de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) à partir d’un certain rendement énergétique, exonération totale de TGAP pour les installations de CSR…

Ces incitations financières ont pour effet pervers d’encourager le maintien de l’existant et d’empêcher d’évoluer vers des systèmes plus vertueux. Elles incitent les collectivités ou opérateurs à garantir un flux continu de déchets, y compris lorsque des efforts de réduction à la source ou de tri pourraient diminuer significativement les tonnages incinérés.

De plus, lorsque l’argent public finance l’incinération, il ne finance pas la prévention : en 2022, les collectivités locales dédient 1% de leur budget de gestion des déchets aux actions de prévention, et 1% aux actions de communication ; contre 39% au traitement. Alors qu’investir dans la prévention permettrait non seulement de réduire le gaspillage et les traitements polluants, mais permettrait également de créer davantage d’emplois qu’un système fondé sur l’incinération.

Pourtant, les alternatives à un système du tout-incinération sont bien connues : il s’agit avant de donner – enfin – la priorité à la réduction, que ce soit en matière d’action et de financements. Il est central de sortir un maximum de déchets des OMR, de réduire également le flux des déchets de déchetterie, d’investir dans la sensibilisation massive et la communication.

Nos principales demandes

Mettre en place un moratoire immédiat sur tout nouvel incinérateur

Nous demandons l’arrêt immédiat de tout nouveau projet d’unité d’incinération ou d’extension de capacité, conformément aux recommandations du Cese (Comité économique et social européen) et aux objectifs de réduction fixés par la loi.

Planifier la réduction des capacités existantes

Nous demandons un plan national et européen de réduction progressive des capacités d’incinération, avec une cible de fermeture de 5% des installations par an, afin d’aligner les infrastructures avec la trajectoire de baisse des déchets résiduels.

Flécher en priorité et renforcer les investissements publics vers la prévention, le réemploi et le recyclage

Alors que les capacités d’incinération sont déjà suffisantes, nous demandons de rediriger les fonds publics vers les piliers de l’économie circulaire, conformément à l’article L. 541-1 du Code de l’environnement.

Mettre l’incinération au même niveau que la mise en décharge dans la hiérarchie des modes de traitement des déchets

Y compris pour la valorisation énergétique.

Abandonner les incitations fiscales favorables aux installations à haut rendement énergétique

Y compris celles alimentées par des CSR.

Flécher l’ensemble de la TGAP vers la prévention des déchets uniquement

Afin de pouvoir financer directement les mesures de prévention.

Réviser les normes d’émission pour les incinérateurs

Les seuils actuels ne protègent pas suffisamment la santé publique. Nous demandons leur révision à la baisse, sur la base des connaissances scientifiques les plus récentes.

Protéger les populations vulnérables en instaurant une distance minimale avec les lieux sensibles

Aucune règle n’impose aujourd’hui une distance minimale entre un incinérateur et une école, une crèche ou un hôpital. Nous demandons l’adoption d’une telle règle, fondée sur le principe de précaution.

Organiser une biosurveillance environnementale et sanitaire indépendante

Nous demandons un suivi régulier des milieux naturels (sols, faune, végétation) et de la santé des populations exposées – y compris les travailleurs du secteur.

Un combat de longue haleine

Zero Waste France (anciennement le CNIID) et son réseau de groupes locaux et d’associations locales luttent historiquement contre les projets d’installations inutiles et polluantes sur les territoires. Depuis le cas emblématique de Gilly-sur-Isère en 2001, les militant.es du réseau Zero Waste luttent contre des projets d’incinération ou de CSR, avec parfois une victoire à la clé :

  • en Corse, avec l’abandon du projet d’incinérateur prévu entre Corte et Ponte-Leccia, mais toujours en lutte contre le centre de tri et de valorisation de Monte,
  • à Plouharnel, avec l’abandon du projet d’UVE,
  • à Marseille, avec l’abandon du projet de chaufferie CSR Arkema,
  • à Angoulême, à Strasbourg, à Rochefort, en Côtes d’Armor, contre l’agrandissement d’incinérateurs
  • à Ivry, à Toulouse, à Limoges, contre la reconstruction d’incinérateurs existants
  • à Lannemezan, en Vendée, à Lyon, à Montpellier, contre l’installation de chaufferies ou d’usines d’incinération de CSR
  • et tant d’autres ! Sur l’ensemble du territoire, les groupes locaux restent vigilants sur le sujet de l’incinération et représentent l’intérêt général auprès de différentes instances.

Crédit photos : Lucia Trouiller pour Zero Waste France, mars 2025

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