Leviers incitatifs
Fiscalité locale et nationale, modulations des prix des produits... la généralisation du zéro déchet suppose d'adapter les signaux économiques envoyés aux entreprises, aux collectivités et aux citoyens afin d'encourager les comportements vertueux et de sanctionner à l'inverse les traitements polluants.
Augmenter le coût des traitements les plus polluants
Le recours à des modes de traitement des déchets polluants et non durables est encore massif en France. Chaque année, 18 millions de tonnes sont envoyées en décharge, et près de 14.5 millions de tonnes sont incinérées. Malgré le coût des investissements et du fonctionnement, ces modes de traitement sont encore trop bon marché pour permettre un basculement massif vers la prévention et la recyclage des déchets.
Un levier à disposition encore sous-utilisé est celui de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), taxe qui frappe chaque tonne de déchets envoyée en décharge ou en incinération (voir le Code des douanes). La faiblesse des taux applicables à l’heure actuelle ne permet pas d’envoyer un signal de changement aux collectivités et aux entreprises. En outre, les “taux de base” applicables sont en réalité atténués par de nombreuses réfactions, calculées en fonction des modalités techniques d’exploitation (taux de valorisation énergétique, seuils de polluants…), qui permettent de bénéficier de réduction de taxes. Par exemple, le taux de base applicable à l’incinération des déchets était de 12 € la tonne en 2017 : le cumul des réfactions applicables fait chuter ce taux à 3 € pour de nombreux incinérateurs !

Zero Waste France préconise donc la hausse progressive et substantielle des taux de base, ainsi que la suppression concomitante des réfactions qui tirent vers le bas le taux d’imposition des usines. De plus, il est urgent de réduire voire supprimer progressivement tous les autres mécanismes d’aide qui bénéficient à ces installations. Rappelons par exemple que l’incinération est – abusivement, de notre point de vue – considérée comme étant une énergie “renouvelable” à 50%, ce qui permet à certains réseaux de chaleur de bénéficier d’un taux de TVA réduit. L’énergie produite par les décharges et les incinérateurs bénéficie également de tarifs d’achat préférentiels. Enfin, les combustibles solides de récupération (CSR) sont quant à eux exonérés de TGAP… Beaucoup de cadeaux onéreux qui seraient plus utilement mobilisés en faveur du zéro déchet !
Encourager la prévention des déchets et le geste de tri
S’il est nécessaire de renchérir le coût des modes de traitement les plus polluants, il est tout autant fondamental d’accompagner les comportements vertueux par des incitations fiscales et des modulations de taxes (au niveau local ou national). Ces modulations peuvent concerner certains modes de consommation (réparation, achat d’objets réutilisables, etc) ou plus globalement consister en une politique publique locale (tarification incitative des usagers, etc.).
Localement, développer la tarification incitative
La loi de transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 prévoit qu’en 2025, 25 millions de Français devraient être concernés par une tarification incitative des déchets (5 millions d’habitants en bénéficient déjà à l’heure actuelle). Il s’agit d’un mode de facturation dans lequel une partie du service payé par les usagers est indexé sur la quantité de déchets produite (mesurée en masse, volume, nombre de levées, etc.). De nombreuses études prouvent régulièrement les résultats probants de cette tarification en termes de réduction à la source, l’amélioration des taux de collecte des déchets recyclables, la meilleure captation en déchèterie, et surtout la forte baisse des ordures ménagères résiduelles à incinérer ou mettre en décharge. Couplée à la gestion séparée des biodéchets, une telle tarification incitative est un levier majeur pour la mise en place d’une stratégie locale tendant vers le zéro déchet.
Au niveau national, favoriser la réparation et le réemploi
De nombreux emplois pourraient être créés dans le secteur de la réparation et du réemploi, tout en contribuant à l’allongement de la durée de vie des produits. Pourtant, ces secteurs peinent à se développer voire connaissent une période de crise à l’heure actuelle, alors même qu’ils sont un dispositif clé dans une transition vers une économie réellement circulaire. Prix élevés de certaines opérations de réparation par rapport au prix du bien, difficulté du secteur du réemploi à trouver du foncier et embaucher, etc. Autant de constats pour lesquels il existe pourtant des solutions… Pour y remédier, Zero Waste France préconise l’application d’un taux de TVA réduit sur les opérations de réparation, et la mobilisation massive de financements en provenance des filières de responsabilité élargie des producteurs (REP) vers le réemploi. Un taux de TVA réduit pourrait également être mis en œuvre en faveur des collectivités ayant mis en place une tarification incitative, ou collectant séparément les déchets organiques.
Inciter à l’éco-conception des produits
De nombreux produits sont aujourd’hui conçus sans que leur fin de vie ait été prise en compte : emballages multi-matériaux, équipements électroniques non réparables, meubles fragiles ou non recyclables, perturbateurs de tri dans les textiles, usages de produits chimiques dangereux… Autant d’exemples parfois bien connus du grand public dans lesquels la responsabilité des producteurs de ces produits est évidente, tant l’absence d’éco-conception est flagrante. Les industriels doivent passer à l’action !

Plusieurs outils sont d’ores et déjà à disposition mais sous-utilisés, tels que le système des bonus / malus dans les filières de “responsabilité élargie des producteurs” (REP). De nombreux produits sont concernés par une filière REP tel que les emballages, les meubles, les textiles, les piles, etc. Les producteurs de ces biens versent un montant pour chaque produit mis sur le marché (une “éco-contribution”) à un éco-organisme dont ils sont membres. Mais ces éco-organismes freinent aujourd’hui la mise en place de bonus / malus sur des critères d’éco-conception des produits. Si quelques bonus sont parfois mis en place, les malus sont en général rejetés alors même que des problèmes d’éco-conception sont clairement identifiés dans chaque filière. Zero Waste France préconise donc le développement massif d’éco-contributions modulées en fonction de la conception des produits, en incluant des malus substantiels. Un affichage spécifique pourrait le cas échéant informer les consommateurs sur les produits bénéficient d’un bonus, ou ciblés par un malus.
Le zéro déchet à l’échelle d’un territoire : des économies à réaliser !
Les collectivités locales craignent parfois qu’une politique zéro déchet ne soit plus coûteuse que le statu quo. Si certaines initiatives peuvent constituer un surcoût temporaire, en réalité l’engagement dans une politique zéro déchet au niveau local est l’occasion de repenser l’organisation du service public, notamment par la substitution des collectes avec moins de tournées pour les ordures ménagères, et de réaliser des économies.
Sur le terrain, les collectivités locales dont le ratio d’ordures ménagères résiduelles par habitant est le plus faible ont des coûts globalement inférieurs aux autres collectivités. En effet, les ordures ménagères résiduelles représentent 40% des tonnages gérés mais 60% des coûts : leur réduction constitue une économie substantielle dès lors que ces déchets sont détournés de la mise en décharge ou de l’incinération. En outre, la hausse des taux de recyclage augmente également les soutiens reçus de la part des filières de responsabilité élargie des producteurs (comme pour les emballages par exemple) et découle sur une proportion réduite de la part des taxes locales dans le financement du service public.
Dans son dernier référentiel national des coûts pour 2014 publié en 2017, l’Ademe a consacré un chapitre entier aux collectivités dont les ratios d’ordures ménagères résiduelles par habitant sont faibles (inférieurs à 135 kg), et a comparé leurs coûts aux autres collectivités. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la démarche zéro déchet (colonne de gauche pour chaque catégorie) est gagnante au niveau budgétaire et la facture par habitant est plus faible que pour les autres !
