04 janvier 2016
Thibault Turchet

Portrait-robot d’une décharge : Beynon dans les Hautes-Alpes

Parmi les visites les plus marquantes de la caravane du droit, figurent évidemment les « centres de stockage de déchets non dangereux », ou moins pudiquement les décharges. Nous vous proposons un voyage au bout de la chaîne d’élimination des déchets, un portrait-robot d’une décharge.

Newsletter
Partager
Bluesky

Dans le cadre de sa caravane du droit et du « programme accès au droit » de Zero Waste France, Thibault Turchet, avocat de formation et juriste au sein de l’association, a parcouru la France pendant un mois pour aider les collectifs locaux sur le plan juridique, et faire remonter un maximum d’informations de terrain.

Parmi les visites les plus marquantes du tour, figurent évidemment les « centres de stockage de déchets non dangereux », ou moins pudiquement les décharges. Nous vous proposons un voyage au bout de la chaîne d’élimination des déchets, un portrait-robot d’une décharge (la France compte en 2018 environ 230 décharges autorisées en cours d’exploitation).

C’est dans un petit coin de paradis, entre montagnes, ciel bleu et rivières à régime alpin paisibles, à Ventavon dans les Hautes-Alpes, que se loge la décharge dite du Beynon, que nous vous présentons.

Une installation qui évolue au cours du temps…

La décharge, autorisée en 2002 sur le site d’une carrière en cours d’exploitation, comme c’est souvent le cas, accueille initialement les déchets ménagers résiduels des collectivités des Hautes Alpes, pour une capacité de 75 000 tonnes par an (l’exploitation doit au départ durer 20 ans). Cependant, la décharge devient rapidement un exécutoire pour d’autres collectivités et d’autres catégories de déchets. La capacité de la décharge passe ainsi, en 2006, à 100 000 tonnes par an, pour accueillir dès 2010 une fraction des déchets des Alpes Maritimes.

Enfin, en 2014 et comme c’est souvent le cas, ce sont d’autres gisements de déchets qui sont autorisés, petit à petit : ici les « terres polluées non dangereuses non inertes » et les « mâchefers d’incinération d’ordures ménagères » sont alors admis, provoquant l’ire des riverains et militants qui voient la décharge enfler et empester davantage.

Des nuisances que l’on pourrait réduire

La décharge, gérée par la société « Alpes assainissement » (une filiale de Véolia), présente des nuisances que l’on pourrait qualifier de classiques si elles n’étaient pas insupportables : une quantité d’insectes ou d’animaux nuisibles qui prolifèrent à proximité des habitations, un risque pour la qualité des eaux et surtout des odeurs nauséabondes qui peuvent surgir à toute heure du jour ou de la nuit, ruinant littéralement la vie des riverains.

Il en découle, face à des nuisances qui persistent mais sont absentes lors des visites officielles ou des journées portes-ouvertes, un climat de défiance à l’égard de l’exploitant ou de l’Etat dont les contrôles sont insuffisamment fréquents.

La solution, précaire, pour les militants : se relayer afin d’observer, depuis la limite du site, les apports de déchets. Ils effectuent également des contrôles des eaux qui sortent de la décharge et qui se jettent directement dans la Durance, pour alerter les services de l’Etat en cas de problème.

Des mesures fortes à prendre

Les riverains qui se battent contre les dysfonctionnements de cette installation appellent avec force une prise en compte de leurs propositions : trier séparément les déchets organiques et les valoriser avec des solutions de lombricompostage ou compostage notamment, ce qui permettrait de fortement limiter les odeurs ; développer le recyclage, des filières de valorisation adaptées (pourquoi déchets verts ou palettes en bois se retrouvent-ils dans une décharge ?) et plus globalement mettre en place une politique ambitieuse de réduction à la source des déchets. Des solutions techniques permettent également de limiter les nuisances, en particulier la création de puits de captage des biogaz, le recouvrement plus régulier du massif de déchets comme l’impose l’arrêté d’autorisation, etc. La loi elle-même dispose très clairement que ne peuvent être enfouis que des « déchets ultimes ».

Cependant, les militants font face à plusieurs inerties, que l’on peut rencontrer ailleurs en France :

  • celle des élus communaux d’abord puisque toute commune qui a sur son territoire une installation d’élimination de déchets a droit, en vertu de la loi, à un maximum de 1.5€ par tonne de déchet enfouie, ce qui constitue évidemment un frein à une politique ambitieuse de réduction ;
  • celle de certains élus intercommunaux en charge de la gestion des déchets, trop souvent désintéressés d’une problématique qu’ils jugent lointaine ;
  • le retard des contrôles de l’Etat pourtant en charge de la police des installations classées, qui devraient être plus fréquents et systématiques (qualité des eaux, qualité des déchets enfouis, traitement des lixiviats, etc.).

Les habitants entendent profiter de la nouvelle procédure d’autorisation en cours que doit demander l’exploitant. En effet, les conditions d’exploitation ayant beaucoup évolué ces dernières années (quantités et types de déchets admis), c’est une nouvelle autorisation qu’il convient de détenir pour l’exploitant au plus vite.

Le collectif n’hésitera pas, à l’avenir, à déposer tout recours utile pour faire respecter la règlementation, qu’il s’agisse des recours administratifs, ou pour demander le respect des prescriptions devant le juge judiciaire.

En attendant, les déchets continuent d’affluer, question majeure sur laquelle les élus locaux doivent se mobiliser.

Actualités

à la une
07 juin 2025

Lutte contre la pollution plastique : bientôt une loi pour généraliser le réemploi des emballages ?

Annoncée ce matin en amont de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC), une proposition de loi transpartisane visant à “généraliser le réemploi des emballages sur le territoire français”[...]

28 mai 2025

Loi fast-fashion : Bercy cède aux lobbies

Le gouvernement vient de déposer un amendement sur la proposition de loi de réduction des impacts environnementaux de la “fast-fashion” qui doit être discutée au Sénat le 2 juin. Cet amendement su[...]

22 mai 2025

Déchets : Zero Waste France demande un moratoire sur tous les nouveaux projets d’incinération

Un nouveau rapport de Zero Waste France dévoile une tendance inquiétante au développement de méga-incinérateurs en France, sous prétexte de production d’énergie. Décorrélés des ambitions de préven[...]

29 avril 2025

Recyclage chimique des plastiques : Zero Waste France et deux associations locales attaquent le projet Eastman en justice

Zero Waste France, Le Havre Zéro Déchet et Zero Waste Rouen ont déposé, samedi 26 avril, un recours auprès du Tribunal administratif de Rouen pour demander l’annulation de l’arrêté préfectoral [1][...]

03 avril 2025

SIMPLIFICATION DE LA VIE ÉCONOMIQUE : LES RIVERAIN·ES BIENTÔT ÉVINCÉ·ES DU DÉBAT PUBLIC ?

Incinérateurs d’Ivry, de Créteil ou de Toulouse-Mirail, projet de recyclage chimique des plastiques en Seine-Maritime : autant de projets qui ont été supervisés ou garantis par la CNDP. L’existenc[...]

20 mars 2025

Le rôle des collectivités locales dans la lutte contre le plastique à usage unique

Face aux impacts croissants du plastique, les collectivités locales disposent de leviers essentiels pour réduire les plastiques à usage unique, tels que la commande publique, le soutien aux systèm[...]

20 mars 2025

La loi anti fast-fashion détricotée

Lors de son passage en commission développement durable au Sénat, la proposition de loi visant à encadrer les pratiques de la fast-fashion a été percutée par le pouvoir des lobbys. La Coalition St[...]

à la une
14 mars 2025

Mobilisation de la Coalition Stop Fast Fashion : 10 tonnes de déchets textiles déposés devant le Sénat pour l’adoption de la loi anti fast-fashion

La coalition Stop Fast-Fashion déplore que la proposition de loi votée en mars 2024 pour mettre fin à ce système de surproduction délétère ne soit toujours pas inscrite à l’ordre du jour du Sénat.[...]

13 mars 2025

Décret autorisant la vaisselle plastique dans les établissements accueillant des enfants : non au plastique dans les cantines

Nous la croyions définitivement bannie des repas de nos enfants depuis le 1er janvier, grâce aux avancées permises par les lois EGalim et Agec. Mais c’était sans compter la pression des industrie[...]

21 février 2025

DEVOIR DE VIGILANCE EN MATIÈRE DE PLASTIQUE : LES ONG ET DANONE PARVIENNENT À UN ACCORD DANS LE CADRE D’UNE MÉDIATION

En janvier 2023, la coalition d’ONG ClientEarth, Surfrider Foundation Europe, et Zero Waste France assignait la société Danone pour non-respect à leurs yeux du devoir de vigilance en matière de pl[...]