Recyclage chimique des plastiques : Zero Waste France et deux associations locales attaquent le projet Eastman en justice

Zero Waste France, Le Havre Zéro Déchet et Zero Waste Rouen ont déposé, samedi 26 avril, un recours auprès du Tribunal administratif de Rouen pour demander l’annulation de l’arrêté préfectoral [1] autorisant le projet de recyclage chimique porté par la société américaine Eastman.

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Selon les associations, il n’y a aucune certitude que cette usine contribuera effectivement aux objectifs de recyclage de la France, alors même qu’elle bénéficiera de près de 100 000 millions d’euros d’aides publiques, pour un projet qui se chiffre désormais à 2 milliards d’euros [2].

Un méga-projet risqué, au service des industriels du plastique

Qualifié de « projet d’intérêt national majeur » le 5 juillet dernier à travers un décret [3] publié en pleine enquête publique, le projet Eastman promet de produire 200 000 tonnes de polyéthylène téréphtalate (PET) “recyclé” à partir de 286 000 tonnes de déchets plastiques peu ou non recyclables. S’il se concrétise, il s’agira de la plus grande usine de recyclage chimique par solvolyse au monde. Cette technologie est supposée contribuer aux objectifs de recyclage et d’incorporation de matière recyclée de la France. Mais alors que ces objectifs de recyclage concernent exclusivement les déchets post-consommation, l’arrêté préfectoral portant autorisation environnementale autorise la société Eastman à traiter des plastiques variés, sans fixer aucun seuil en fonction de la nature des déchets.

Cette décision est particulièrement problématique dans la mesure où l’installation sera autorisée à traiter des déchets provenant directement d’étapes du processus de production, notamment de l’industrie textile” explique Bénédicte Kjaer Kahlat, Responsable des affaires juridiques de Zero Waste France. “Autrement dit, pour essayer de rentabiliser son usine, Eastman sera autorisée à traiter des déchets qui pourraient facilement être limités par les industriels en amont, contrevenant à la hiérarchie des modes de traitement. Pour l’environnement et les riverain·es, c’est la double peine !

Une rentabilité dépendante des importations de déchets

Par ailleurs, alors que l’entreprise assure vouloir traiter en priorité les déchets plastiques produits sur le territoire de la France métropolitaine, dans les faits, l’arrêté attaqué par les associations l’autorise à importer des déchets en provenance d’autres États européens.

Eastman assure [4] avoir déjà conclu plusieurs contrats avec des entreprises italiennes, espagnoles, allemandes, et d’autres pays d’Europe de l’Est”, révèle Bénédicte Kjaer Kahlat. “Il y a d’un côté une pression réglementaire et citoyenne pour sortir des plastiques à usage unique, et de l’autre une forte pression économique liée aux coûts du recyclage et de la matière recyclée. Dans ce contexte, ce type de projet surdimensionné ne peut survivre que grâce à l’importation de déchets, alimentant de fait un système de surproduction qui démultiplie les pollutions.”

La France, à la traîne dans l’atteinte de ses objectifs de recyclage

Pour rappel, d’ici 2030, dans l’Union européenne, les emballages non recyclables seront interdits (art. 6 du PPWR) et les bouteilles pour boissons en PET devront incorporer à minima 30% de plastique recyclé (art. 7 du PPWR). Aujourd’hui en France, seuls 27% des emballages en plastique sont effectivement recyclés [5], et ce malgré l’extension des consignes de tri. Au niveau mondial, seuls 9,5% des plastiques produits sont fabriqués à partir de matériaux recyclés, selon une étude récente publiée dans la revue scientifique Communications Earth & Environment [6].

Investir massivement dans de nouvelles technologies particulièrement coûteuses et dont l’impact global est encore mal connu est un pari hasardeux, à la fois pour notre santé, notre économie et l’environnement”, affirme Bénédicte Kjaer Kahlat. “L’argent des contribuables français serait bien mieux employé pour soutenir le retour des emballages en verre consignés, ou encore la vente en vrac”.

Un investissement qui interroge dans un contexte où les capacités existantes de recyclage des plastiques ne sont exploitées qu’à 65 % [7]. Pour mémoire, Zero Waste France avait contesté la qualification de projet d’intérêt national majeur en janvier dernier.

Sources

[1] Arrêté préfectoral d’autorisation environnementale du 30 octobre 2024 relatif à l’exploitation d’une usine de recyclage moléculaire de plastiques

[2] L’État investit des millions d’euros dans une méga-usine de recyclage de plastique, Reporterre, 16 juillet 2024

[3] Décret n° 2024-708 du 5 juillet 2024 qualifiant de projet d’intérêt national majeur l’usine de recyclage moléculaire des plastiques de la société Eastman à Saint-Jean-de-Folleville – Légifrance

[4] La gestion des approvisionnements, Eastman, avril 2024

[5] Les chiffres du recyclage en France | CITEO, 25 novembre 2024

[6] Complexities of the global plastics supply chain revealed in a trade-linked material flow analysis | Communications Earth & Environment, 10 avril 2025

[7] Économie circulaire Point sur l’avancée des travaux, juillet 2024

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