Exports de déchets et retours à l’envoyeur : analyse d’une crise mondiale des déchets (1/3)

Suite à la fermeture des frontières chinoises annoncée en 2017, et de l'effet domino qui s'en est suivi en Asie, un véritable séisme agite le monde du traitement des déchets. Voici un dossier en trois parties pour faire le point. Partie 1/3 : quel est le cadre juridique applicable aux exports de déchets ?

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Avec le concours de Maxence Temps pour les recherches et la rédaction.

Depuis 1989, un cadre juridique pour réglementer les transferts transfrontaliers de déchets dangereux

La convention de Bâle est un accord juridique qui réglemente, à l’échelle internationale, les transferts transfrontaliers de déchets dangereux. Elle prend ses racines dans les années 70-80, parallèlement à l’essor du commerce international et de la mondialisation. A cette époque, plusieurs faits d’actualités ont conduit les États à adopter cette convention. A ce titre, on peut citer les déboires du  “Khian Sea” en 1986. Ce bateau, chargé de cendres toxiques issues de l’incinération, fit le tour de la planète pendant plusieurs mois à la recherche d’un État enclin à l’accueillir, sans succès. A la suite de nombreux refus, le capitaine du bateau décida alors de se délester de la cargaison directement dans l’océan atlantique et indien. Environ 10 000 tonnes de cendres toxiques furent délibérément rejetées à l’eau.

D’autres scandales environnementaux par la suite comme celui du Karin B (1988) ou encore du Zanoobia (1988) mettront le sujet de l’exportation des déchets au cœur des débats internationaux et diplomatiques, donnant ainsi naissance à la convention de Bâle, censée réglementer les « transferts transfrontaliers » de déchets dangereux, particulièrement pour protéger les pays en voie de développement. La convention de Bâle, ouverte à la signature le 22 mars 1989, compte actuellement 186 États. L’un des plus gros producteurs mondiaux de déchets, les États-Unis, ne l’a toujours pas ratifiée. Toutefois, les obligations du traité s’appliquent pour ce pays, de manière indirecte mais très concrète, dans la mesure où ses partenaires commerciaux pour les flux de déchets sont eux membres de la convention de Bâle. S’agissant de l’Etat français, la convention est entrée en vigueur en 1992.

Depuis le 5 décembre 2019, l’entrée en vigueur d’une modification de la Convention (le « Ban amendment » , désormais Article 7 de la convention) renforce cette protection, puisque les pays membres de l’OCDE, de l’U.E., et le Liechtenstein ont l’interdiction pure et simple d’exporter tout déchet dangereux vers les autres pays membres de la convention de Bâle, même si le pays importateur y consentait. Cette nouvelle interdiction ne s’applique cependant qu’entre les pays ayant ratifié cet amendement, et indirectement aux pays souhaitant exporter ou importer des déchets dangereux vers ou depuis un pays membre.

Parallèlement, à la même période, ce cadre juridique fut complété par un dispositif issu de l’OCDE adopté le 30 mars 1992, venant encadrer l’exportation des déchets entre les États membres de l’OCDE (voir OECD/LEGAL/0266). Cette possibilité est prévue par la convention de Bâle, qui donne la faculté aux États de conclure des accords bilatéraux ou multilatéraux se substituant à ladite convention, si ces accords offrent une protection équivalente de l’environnement et de la santé publique (article 11 de la convention). On peut cependant questionner le caractère équivalent de l’accord OCDE par rapport au texte de Bâle. En effet, la décision OCDE s’inspire majoritairement du contenu de la convention de Bâle, tout en assouplissant la procédure de contrôle des exportations pour certains déchets. Pour exemple, les déchets considérés comme non-dangereux (liste verte), peuvent être exportés sans aucun contrôle spécifique, si ce n’est les “contrôles existants normalement appliqués aux transactions commerciales” (chapitre 2, C, décision OCDE). Par ailleurs, des “autorisations générales” peuvent être délivrées à une entreprise qui reçoit le même type de déchets. Ladite usine pourra recevoir une autorisation d’un an maximum lui permettant d’importer des déchets sans la nécessité d’effectuer des contrôles (chapitre 2, D, décision OCDE). Ce dispositif, allégé, s’applique pour une quarantaine de pays industrialisés, y compris les États-Unis d’Amérique qui préfèrent se baser sur cette réglementation OCDE.

Au niveau européen, la convention de Bâle a été transposée par le Règlement européen n°1013/2006 concernant les transferts transfrontaliers de déchets et complétée par la directive cadre 2008/98/CE relative aux déchets. Cette transposition n’est pas sans conséquence car elle permet une application directe des dispositions de la convention de Bâle au sein des États membres de l’Union Européenne.

Par conséquent, l’exportation à l’international des déchets est réglementée par ces trois cadres juridiques: OCDE, droit européen et convention de Bâle. Ces réglementations sont complémentaires, même si le cadre normatif de l’OCDE semble parfois concurrencer la convention de Bâle. La suite de l’article se focalise sur cette dernière.

Convention de Bâle : comment ça marche ?

La convention de Bâle se fonde sur la protection des pays en voie de développement. Jusqu’au 4 décembre 2019, cette protection s’opérait à travers l’interdiction, d’exporter des déchets dangereux vers un État qui n’a pas donné son accord préalable à un tel flux, notamment parce qu’il manque de ou qui n’a pas les moyens de les gérer selon des « méthodes écologiquement rationnelles » (« environmentally sound manner »), qui demandent une protection adéquate de l’environnement et de la santé publique des risques liés aux déchets dangereux. Depuis le 5 décembre 2019, l’entrée en vigueur d’une modification de la Convention (le « Ban amendment » , désormais Article 7 de la convention) renforce cette protection, puisque les pays membres de l’OCDE, de l’U.E., et le Liechtenstein ont l’interdiction pure et simple d’exporter tout déchet dangereux vers les autres pays membres de la convention de Bâle, même si le pays importateur y consentait. Cette nouvelle interdiction ne s’applique cependant qu’entre les pays ayant ratifié cet amendement, et indirectement aux pays souhaitant exporter ou importer des déchets dangereux vers ou depuis un pays membre.

C’est à partir de cette nécessité de classer les différents déchets pour définir un cadre juridique propre à chaque type d’export, que la convention détaille différents déchets dans ses annexes. La convention prévoit ainsi une distinction classique entre déchets dangereux (annexe XVIII) et déchets non dangereux (annexe IX), complétée par une catégorie de déchets devant faire l’objet d’un « examen spécial », soumis à la même procédure que les déchets dangereux (annexe II / voir article 1 convention).

Une fois que le type de déchet candidat à l’export est identifié, s’appliquent différentes procédures administratives, qui s’étendent de l’obtention du consentement du pays destinataire, par le biais d’une procédure de notification, ou la plus légère de simple information des autorités publiques.

Procédures d’information et de consentement préalable : quelles différences ?

La procédure d’information des autorités locales s’applique aux déchets non dangereux (liste verte de l’UE, correspondant à l’annexe IX de la convention). En effet, compte-tenu de leur prétendue faible dangerosité, lesdits déchets peuvent être exportés sans le consentement préalable des autorités compétentes, une simple information sur le déchet et sa destination étant suffisante.

Par exemple, les déchets de papier, de carton et de produits de papier, lorsqu’ils ne sont pas en mélange avec d’autres substances dangereuses, sont considérés comme des déchets non-dangereux au sens de la convention (Code B3020, l’annexe IX), soumise à la procédure d’information. L’autorité compétente recevra un document contenant les informations essentielles sur le déchet ainsi que le contrat passé entre la personne qui organise le transfert et le destinataire.

La procédure de consentement quant à elle (également appelée « procédure de consentement écrit préalable » – liste orange et rouge de l’U.E, correspondant aux annexes II, I, III et VIII de la convention), concerne les déchets considérés comme dangereux, ou requérant un examen spécial. L’objectif de cette procédure est de fournir aux autorités concernées des informations précises sur le type de déchet transféré, afin de pouvoir juger si la filière de traitement de l’État importateur sera en mesure de les traiter. L’Etat qui reçoit ledit document de consentement préalable doit ensuite donner (ou pas) son consentement au transfert des déchets.

Depuis l’entrée en vigueur du « Ban amendment » le 5 décembre 2019, le consentement préalable est remplacé par une interdiction totale des flux depuis les pays de l’OCDE, de l’U.E. et le Lichtenstein, vers les autres pays membres de cet amendement à la Convention de Bâle.

Par exemple, si l’on souhaite exporter des débris de verre provenant de tubes cathodiques (A2010, Annexe VIII), ce type de déchet, compte tenu de sa dangerosité, sera soumis à procédure de consentement préalable entre les pays de l’OCDE, de l’U.E., et le Lichtenstein, tandis que ces exports sont désormais interdits vers d’autres pays..

En France, c’est le Pôle National des Transferts Transfrontaliers de Déchets (PNTTD – un service de la direction générale de la prévention des risques du Ministère de la transition écologique) qui est chargé d’instruire les dossiers d’exportation de déchets. Chaque année, ce sont environ 3000 dossiers qui sont traités par cette administration comprenant une vingtaine de salariés. Il convient de noter que cette autorité a été créée en 2015, issue de la fusion de services initialement régionalisés, ce qui peut traduire la récente réaction des pouvoirs publics face à la problématique des exportations légales et illégales de déchets.

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