Arrêt de la CAA Paris du 9 février 2017 : une décision dangereuse qui déresponsabilise les acteurs du traitement des déchets

Dans un arrêt rendu en février 2017, la Cour administrative d'appel de Paris à opéré un glissement juridique risqué et peu en phase avec l'esprit de la réglementation relative aux déchets. Point de vue de Zero Waste France, avec l'aimable concours de Federica Masucci, bénévole du réseau juridique de l'association.

Partager

Les faits à l’origine de l’affaire

L’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Paris le 9 février 2017 (n°15PA01423) fait partie de la série d’affaires[1] qui ont eu pour objet de clarifier la situation juridique du centre de tri et transit de déchets industriels et de chantiers exploité par la société LGD développement à Limeil-Brévannes (94).

Constatant des manquements dans la gestion du centre de tri, et notamment après l’apparition d’incendies non déclarés, le préfet du Val-de-Marne avait à plusieurs reprises mis en demeure puis suspendu l’activité de la société LGD développement, en 2005. Au même moment, celle-ci avait été mise en redressement puis en liquidation judiciaire.

Après la disparition de la société LGD développement, la situation du site avait continué de se dégrader. En 2011, environ 150 000 mètres cubes de déchets étaient amoncelés sur le site, constituant une « montagne sauvage de déchets » comme l’avait surnommée la presse. Des fumées se dégageaient par des feux couvant apparus sous les déchets, mettant en danger la santé des populations avoisinantes.

Le préfet, après avoir fait appel à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) pour sécuriser le site et évacuer les déchets aux frais des personnes physiques ou morales responsables, était à la recherche d’un débiteur subsidiaire pour faire supporter les frais de l’élimination des déchets.

Pour la Cour, un transporteur de déchets ne commettant aucune négligence ne peut être qualifié de « détenteur » ni tenu responsable

Sur le fondement des dispositions de l’article L541-3 du code de l’environnement, le préfet a mis en demeure la société Billy, qui avait transporté une partie des déchets sur le site de Limeil-Brévannes, d’assurer leur élimination à hauteur de la quote-part des déchets transportés, puis de payer la somme de 1.135.447€ correspondant au montant nécessaire pour leur élimination. Cette société était un transporteur, ayant donc juridiquement « détenu » des déchets à un moment donné.

Rappelons que l’esprit et le but du Code de l’environnement en matière de gestion des déchets est de lier tant le producteur initial des déchets que les détenteurs successifs. En cas d’abandon irrégulier ou de pollution et sur le fondement de cette réglementation, il est ainsi possible d’engager la responsabilité d’un acteur de la chaine tant que les déchets n’ont pas été convenablement recyclés ou éliminés.

En ce sens, l’article L541-2 du Code de l’environnement dispose très clairement que « tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu’à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers ». L’effet de cette réglementation historiquement conçue de la sorte est de responsabiliser tous les maillons de la chaîne, et d’identifier facilement un ou des responsables en cas de problème, au lieu de systématiquement faire reposer cette charge sur l’Etat ou le public.

Mais la Cour administrative d’appel de Paris a considéré qu’un transporteur de déchets n’ayant commis aucune négligence ne peut ni être qualifié de « détenteur », ni voir sa responsabilité engagée pour l’élimination des déchets.

Les juges ont également créé une condition pour pouvoir engager des poursuites envers un détenteur antérieur, uniquement « si celui-ci a méconnu les prescriptions du code de l’environnement en abandonnant, gérant ou déposant des déchets contrairement à ces prescriptions ».

Une interprétation dangereuse remettant en cause l’esprit et la lettre de la réglementation

Selon Zero Waste France, cette interprétation est contraire à l’esprit et à la lettre du Code de l’environnement, et constitue une ouverture dangereuse sur de possibles exonérations futures de la responsabilité des industriels.

D’une part, la notion de détenteur de déchets est parfaitement claire et n’est nullement subordonnée à la commission d’une négligence : il s’agit de tout « producteur des déchets ou toute autre personne qui se trouve en possession des déchets ». D’autre part, les dispositions du Code de l’environnement ne subordonnent pas l’engagement de la responsabilité à la méconnaissance des prescriptions du code de l’environnement. Ses dispositions visent justement, de façon large, « tout producteur ou détenteur » dans le but de disposer de plusieurs responsables en cas de problème.

En retenant le critère de la négligence pour engager ou non la responsabilité d’un transporteur, le juge ajoute une condition dangereuse et adopte une lecture restrictive qui rompt la chaîne des responsabilités dans la gestion des déchets et remet en cause l’économie globale du principe pollueur payeur. La mise en cause de la responsabilité des entreprises qui participent à la gestion des déchets lorsqu’une d’entre elle disparaît en est rendue plus difficile.

Pour rappel, dans le cas de sites pollués, et confrontés à la même difficulté d’identification de producteur initial et de détenteur de déchets, les juges (aussi bien le Conseil d’État que la Cour de cassation) ont estimé qu’il était possible de mettre en cause la responsabilité du propriétaire du site.

A l’heure ou de plus en plus régulièrement, des industriels du secteur demandent des infléchissements de cette réglementation et son esprit, l’arrêt de la Cour nous semble très risqué en faisant droit à une demande de déresponsabilisation de la part des acteurs du secteur. Il faudra à l’avenir rappeler la définition claire et précise du détenteur sans la subordonner à une négligence, ni conditionner l’engagement de la responsabilité de l’élimination des déchets à un tel critère.

[1] voir aussi TA Melun du 2 février 2014, n°1202994/4, Sté SOS Bennes, concl. S. Nourisson, dans Environnement n°8-9, Août 2014, comm. 61

Actualités

25 avril 2024

Loi fast-fashion : la coalition Stop Fast-Fashion appelle à concrétiser les efforts face aux lobbies

La loi fast-fashion votée en 1ère lecture le 14 mars à l’Assemblée nationale reste toujours sans date de passage au Sénat. Censée enrayer un système de surproduction délétère pour les droits humai[...]

24 avril 2024

Retours d’expériences européens et français sur le tri à la source des biodéchets

Réunissant des intervenants européens et nationaux de premier plan, la journée d’étude LIFE BIOBEST a permis le partage des meilleures pratiques sur le tri à la source des biodéchets. Organisé les[...]

19 avril 2024

Traité mondial sur la pollution plastique : Zero Waste France se rend à Ottawa pour la reprise des négociations

Alors que les gouvernements reprennent, mardi 23 avril à Ottawa (Canada), les discussions en vue de l’adoption d’un texte contraignant pour mettre fin à la pollution plastique, Zero Waste France s[...]

11 avril 2024

Prévention des déchets : les dysfonctionnements du principe pollueur-payeur

Dans son nouveau rapport, rendu public lors d’un débat organisé à l’Assemblée nationale le 11 avril 2024, Zero Waste France dresse un bilan critique de l’application du principe pollueur-payeur, à[...]

à la une
04 avril 2024

Affichage environnemental du textile, un étiquetage qui s’affiche ambitieux

L’affichage environnemental, prévu dans la loi Agec, voit son rôle renforcé par la proposition de loi fast-fashion en débat au Parlement. En quoi consiste ce nouvel étiquetage prévu sur les vêteme[...]

14 mars 2024

Loi sur l’impact environnemental du textile : un premier pas historique pour en découdre avec la fast-fashion

Après des mois de forte mobilisation, la coalition Stop Fast-Fashion se félicite du vote par les député·es de la proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental du textile. Malgré des[...]

08 mars 2024

La lutte écologique ne se fera pas sans une lutte féministe

A travers la démarche zéro déchet zéro gaspillage, c’est souvent l’écologie des petits gestes qui est privilégiée. Au-delà du fait que cette démarche ne peut être considérée comme l’unique et seul[...]

06 mars 2024

Règlement européen sur les emballages : Zero Waste France et No Plastic In My Sea regrettent un texte édulcoré et insuffisant pour mettre fin au tout-jetable

Les négociations sur le règlement UE sur les emballages ont abouti lundi 4 mars 2024 sur un accord de compromis entre les États membres et le Parlement européen, mais l’accent mis sur le recyclage[...]

26 janvier 2024

Moins 30% d’ordures ménagères avec la mise en place d’une tarification incitative

L’Ademe a publié en janvier deux études sur les collectivités ayant adopté une tarification incitative, montrant leurs meilleures performances en matière de réduction des ordures ménagères, et rel[...]

18 janvier 2024

Réparation : la loi AGEC a-t-elle permis de limiter la casse ?

Indice de réparabilité, accès aux pièces détachées, bonus réparation : autant de mesures prévues par la loi AGEC pour allonger la durée de vie des produits, notamment des équipements électriques e[...]