Faute de prescriptivité, le Tribunal de Caen annule le plan déchets de Normandie

Le Tribunal administratif de Caen, appelé à se prononcer sur la légalité du plan régional de prévention et de gestion des déchets de Normandie, vient de prononcer son annulation. En cause, son manque de prescriptivité concernant les exutoires.

Newsletter
Partager
Bluesky

Un plan qui ne planifie pas suffisamment

Par une décision du 4 juillet 2019 (n°1802969), le Tribunal administratif de Caen saisi par l’association Manche Nature, vient d’annuler partiellement (« en tant que ») le plan régional déchets de Normandie. Une première dans le cadre de la planification régionale, qui a débuté en 2016/2017, et s’achèvera d’ici à 2020 avec l’adoption de la plupart des plans.

D’une part, le Tribunal retient que le plan ne précisait pas les actions mises en œuvre en faveur de la tarification incitative. Pour mémoire, la loi de transition énergétique fixe un objectif de couverture de 25 millions d’habitants en 2025 par ce mode de tarification (soit environ 38% de la population). L’objectif était repris dans le plan, mais pas accompagné d’un dispositif opérationnel pour favoriser son déploiement. Les régions devront donc se montrer actives et engagées sur ce terrain, en ne reprenant pas simplement l’objectif mais en le rendant concret.

D’autre part, les juges ont constaté que le plan, notamment sur la planification des installations de traitement thermique et en particulier les combustibles solides de récupération (CSR – page 143), n’était pas suffisamment prescriptif. La préconisation retenue, très large et vague, ne répond pas à l’objet d’un véritable plan selon le Tribunal qui annule partiellement le plan. Le jugement rappelle bien que, selon le décret du 17 juin 2016 qui détermine le contenu des plans, ceux-ci doivent bien prévoir « les installations qu’il est nécessaire de créer, d’adapter et de fermer« . Lors de l’enquête publique, le projet de plan avait d’ailleurs reçu un avis défavorable de la part de la Commission d’enquête.

L’extrait pertinent du jugement : « 12. En deuxième lieu, l’association Manche-Nature soutient que les actions en matière de gestion des déchets sont insuffisantes, et plus spécifiquement celles relatives à la tarification incitative et à la valorisation énergétique. D’une part, la tarification incitative fait l’objet de dispositions spécifiques à l’article D. 541-16-2 du code de l’environnement, qui exigent une synthèse des actions prévues concernant son déploiement. En se bornant à prévoir un objectif de 30 % de la population concernée d’ici 2025 contre 2,8 % actuellement, le plan ne précise pas les actions qui seront mises en oeuvre pour atteindre cet objectif. D’autre part, s’agissant de la valorisation énergétique des combustibles de récupération, le plan se borne à prévoir que « la création de nouvelles unités dédiées de valorisation énergétique doit faire l’objet d’une étude préalable permettant de justifier de la pérennité des gisements sur le long terme et des besoins locaux en énergie ». Il ne répond ce faisant pas à son objet, qui est notamment de planifier, en fonction de la proportion des déchets concernés, les installations qu’il est nécessaire de créer, d’adapter et de fermer, en cohérence avec les principes de proximité et d’autosuffisance et adaptés aux bassins de vie. Dans ces conditions, le moyen doit être accueilli. »

Le plan normand avait aussi fait l’impasse de prescriptions claires concernant, plus globalement, les usines d’incinération, en retenant une formulation pour le moins elliptique, qui « n’interdit pas » (page 155 du plan) :

L’opportunité pour les plans régionaux d’être véritablement prescriptifs

Dès 2018, Zero Waste France avait publié une note juridique à l’attention des Régions, les alertant sur la pleine compétence à exercer concernant la planification des exutoires, de tous types, pour ne pas commettre une « incompétence négative » (compétence non exercée à plein). La jurisprudence rendue sous l’empire des plans départementaux et la réglementation en vigueur y étaient décryptées, afin de démontrer qu’une planification opérationnelle était non seulement souhaitable, mais une exigence juridique. Cette exigence découle du fait que les décisions prises localement doivent ensuite être « compatibles » avec le plan, et qu’elles doivent ainsi pouvoir être confrontées à une prescription claire, faute de quoi le rapport de compatibilité est dénué de sens.

Plus récemment, dans un article de synthèse, Zero Waste France alertait sur l’aspect irrégulier de ce travail de planification, certaines régions souhaitant s’étant efforcé de doter leur plan de prescriptions claires, d’autres non.

Ce jugement vient donc confirmer cette interprétation du droit faite par les associations environnementales dans le processus de planification régionale, et doit amener les régions à se mobiliser, en phase finale d’adoption des plans. La plupart auront ainsi passé l’enquête publique d’ici à la fin de l’année 2019 et seront adoptés. Il est encore temps d’apporter les dernières modifications pour clarifier certaines préconisations et tournures elliptiques, après quoi il sera trop tard. Un tel état de fait serait regrettable dans la mesure où la durée de vie du plan est fixée à 6 et 12 ans.

Actualités

à la une
07 juin 2025

Lutte contre la pollution plastique : bientôt une loi pour généraliser le réemploi des emballages ?

Annoncée ce matin en amont de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC), une proposition de loi transpartisane visant à “généraliser le réemploi des emballages sur le territoire français”[...]

28 mai 2025

Loi fast-fashion : Bercy cède aux lobbies

Le gouvernement vient de déposer un amendement sur la proposition de loi de réduction des impacts environnementaux de la “fast-fashion” qui doit être discutée au Sénat le 2 juin. Cet amendement su[...]

22 mai 2025

Déchets : Zero Waste France demande un moratoire sur tous les nouveaux projets d’incinération

Un nouveau rapport de Zero Waste France dévoile une tendance inquiétante au développement de méga-incinérateurs en France, sous prétexte de production d’énergie. Décorrélés des ambitions de préven[...]

29 avril 2025

Recyclage chimique des plastiques : Zero Waste France et deux associations locales attaquent le projet Eastman en justice

Zero Waste France, Le Havre Zéro Déchet et Zero Waste Rouen ont déposé, samedi 26 avril, un recours auprès du Tribunal administratif de Rouen pour demander l’annulation de l’arrêté préfectoral [1][...]

03 avril 2025

SIMPLIFICATION DE LA VIE ÉCONOMIQUE : LES RIVERAIN·ES BIENTÔT ÉVINCÉ·ES DU DÉBAT PUBLIC ?

Incinérateurs d’Ivry, de Créteil ou de Toulouse-Mirail, projet de recyclage chimique des plastiques en Seine-Maritime : autant de projets qui ont été supervisés ou garantis par la CNDP. L’existenc[...]

20 mars 2025

Le rôle des collectivités locales dans la lutte contre le plastique à usage unique

Face aux impacts croissants du plastique, les collectivités locales disposent de leviers essentiels pour réduire les plastiques à usage unique, tels que la commande publique, le soutien aux systèm[...]

20 mars 2025

La loi anti fast-fashion détricotée

Lors de son passage en commission développement durable au Sénat, la proposition de loi visant à encadrer les pratiques de la fast-fashion a été percutée par le pouvoir des lobbys. La Coalition St[...]

à la une
14 mars 2025

Mobilisation de la Coalition Stop Fast Fashion : 10 tonnes de déchets textiles déposés devant le Sénat pour l’adoption de la loi anti fast-fashion

La coalition Stop Fast-Fashion déplore que la proposition de loi votée en mars 2024 pour mettre fin à ce système de surproduction délétère ne soit toujours pas inscrite à l’ordre du jour du Sénat.[...]

13 mars 2025

Décret autorisant la vaisselle plastique dans les établissements accueillant des enfants : non au plastique dans les cantines

Nous la croyions définitivement bannie des repas de nos enfants depuis le 1er janvier, grâce aux avancées permises par les lois EGalim et Agec. Mais c’était sans compter la pression des industrie[...]

21 février 2025

DEVOIR DE VIGILANCE EN MATIÈRE DE PLASTIQUE : LES ONG ET DANONE PARVIENNENT À UN ACCORD DANS LE CADRE D’UNE MÉDIATION

En janvier 2023, la coalition d’ONG ClientEarth, Surfrider Foundation Europe, et Zero Waste France assignait la société Danone pour non-respect à leurs yeux du devoir de vigilance en matière de pl[...]