04 avril 2016
Marine Foulon

Recyclage informel en Albanie, retour sur l’Amazing Waste Project

Pierre Manchot de l'association Recycl'AGE Amazing Waste Project revient pour Zero Waste France sur son expérience en Albanie et sur la genèse de l'Amazing Waste Project.

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En septembre 2015 naît l’idée du Amazing Waste Project, un projet de collecte des déchets recyclables en Albanie. Pierre Manchot de l’association Recycl’AGE Amazing Waste Project revient pour Zero Waste France sur son expérience en Albanie et sur la genèse du projet.

Clic. Les quatre enfants Roms n’ont pas souri pour la photo. Juchés côte à côte sur les ordures dans la décharge de Sharre, ils jouent mollement à se barbouiller avec une boite de fond de teint extraite des déchets. Ils ont entre 4 et 5 ans, portent des habits en loque ou vont cul nu. Nous sommes mi-novembre.

A l’automne 2014, je voyageais à vélo vers la Mongolie. Sur le chemin, l’Albanie m’a offert à grands coups d’hospitalité mes premiers vrais moments de dépaysements. Dans les rues de Shkodra, j’ai compris qu’on pouvait vivre autrement. Mais dans les arrières cours, sur les bords des routes, dans les décharges à ciel ouvert, j’ai aussi réalisé que les albanais ne voyaient plus leurs propres déchets. Ici, rares sont les espaces épargnés par la main de l’homme. Parmi les détritus calcinés, près des rivières puantes, j’ai décidé de m’arrêter un moment, pour comprendre.

D’après l’Agence Européenne de l’Environnement, il n’existe en Albanie aucun système officiel de tri sélectif des déchets. Deux tiers des municipalités font appel à des compagnies privées[1] pour la collecte des déchets, qui sont mis en décharge. Mais comme l’enfouissement coûte cher, le ramassage est laxiste.

En revanche, le pugnace secteur informel s’affaire. Il est constitué de Roms et d’Egyptiens. Bien que la plupart d’entre eux ne soient pas enregistrés à l’Etat Civil, on estime qu’ils sont 12.000 à vivre de la collecte (près de 1000 à Tirana, la capitale) et de la revente des matières recyclables[2] .

On distingue deux catégories de collecteurs: dans les décharges et dans la rue.

Dans les douze décharges officielles du pays[3] des enfants, des préadolescents et des femmes. A Elbasan, on met le feu à la décharge a 9h du matin, ce qui laisse seulement quelques petites heures aux Roms pour ramasser les recyclables. D’après une étude menée dans la décharge de Sharre[4], ils passent plus de 8 heures derrière les bennes des camions. Il en arrive entre 100 à 200 par jour, déversant sur place 1000 tonnes de déchets. Après tri, les collecteurs revendent le plastique à 0,10$ le kilo, le carton à 0,02$ le kilo, la ferraille, l’aluminium, le cuivre, le verre… Le bénéfice moyen journalier par personne est de 2 à 5$. Quant aux conditions de vie, 85% des Roms qui travaillent informellement dans la décharge vivent sur place dans des baraques en carton, ou en bois, dans des conditions sanitaires déplorables.

Dans les rues, les moyens utilisés pour la collecte sont souvent dérisoires. En charrette, mobylette, vélo, les collecteurs, souvent des hommes et des adolescents, inspectent les poubelles plusieurs fois par jour. Parfois, ils vident les poubelles en laissant les déchets non récupérés sur le trottoir, ce qui ajoute à leur mauvaise réputation, surtout auprès des employés municipaux (qui eux aussi mettent de côté, pendant leur collecte, les déchets recyclables pour arrondir leurs fins de mois). A Tirana, l’association Rromani Baxt[5] a initié depuis quelques années un réseau de récupération de papier et cartons auprès des ambassades, écoles, usines… La collecte est effectuée par quelques Roms rémunérés à un salaire fixe.

Au milieu de la chaîne, les intermédiaires se chargent d’acheter les déchets aux collecteurs, accumulant les stocks de déchets pour les revendre en bloc à des usines de recyclage, souvent lointaines, ou pour exporter(souvent l’aluminium). Etant donné que les intermédiaires sont rares, les nombreux collecteurs Roms et Egyptiens ne peuvent souvent pas choisir de revendre leurs déchets à l’un ou l’autre. Le manque de concurrence permet ainsi aux intermédiaires de faire baisser à loisir les prix d’achat des matières.

Plusieurs mois plus tard, je reviens de mon voyage à vélo avec une obsession : les déchets.

En septembre 2015 naît le Amazing Waste Project, un projet de collecte de déchets recyclables en Albanie. L’idée phare est d’inciter les citoyens à trier leurs déchets en leur remettant des bons d’achat. Le projet vise à formaliser le secteur de la collecte informelle de déchets : organiser les recycleurs en coopérative et établir des systèmes de collecte porte à porte auprès des habitants volontaires, en les récompensant par des bons d’achats.

L’expérience n’est pas nouvelle (Brésil, Inde, Maghreb…) et on a maintenant la preuve sur le terrain et dans la littérature[6] que ces démarches procurent des bénéfices écologiques, économiques et sociaux pour toutes les parties prenantes, des municipalités aux collecteurs, des collectés aux commerces, des ONG aux banques de microcrédit.

[1] Municipal waste management in Albania, par European Environment Agency, Albania Agency of Environment and Forestry and Copenhagen Resource Institute, novembre 2013.

[2] Effective programmes for the active integration/inclusion of the Roma in South East Europe, newsletter n°2, 2013, PAIRS

[3] National Plan of Waste Management 2010-2025, Ministry of Environment Forest and Water Administration of Albania

[4] Study report on the situation of the Roma living and working at the waste collection site in Sharre by IFAW, ARSIS, FBSH, and financed by Cooperation italian allo Sviluppo

[5] Site internet : http://www.rromanibaxtalbania.org/fr/

[6] Lire entre autres à ce sujet les formidables ouvrages suivants : Recovering resources, creating opportunities. Integrating the informal sector into solid waste management, 2001, GIZ and Federal Ministry for Economic Cooperation and Development Solid Waste Exchange of informations and Expertise Network in Mashreq and Maghreb Countries, 2015, SWEEP-Net, GIZ, German Cooperation

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