09 mars 2022
Clémence Barbet

Suite du feuilleton “Fonds réparation” : Zero Waste France va en justice contre la baisse de son montant

Zero Waste France et les Amis de la Terre France ont attaqué le décret qui diminue le montant du fonds réparation, par un recours déposé le 25 février 2022 devant le Conseil d’Etat. Décryptage d’un loupé réglementaire venu vider de sa substance une avancée majeure de la loi anti-gaspillage.

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Un dispositif initialement prévu pour inciter à la réparation

Pour rappel, le fonds réparation est une enveloppe financière destinée à financer une partie de la réparation de certains produits : les équipements électriques et électroniques (EEE), les meubles, les jouets, les articles de sport et loisirs ainsi que les articles de bricolage et de jardin. Ce financement permet ensuite de diminuer le coût de réparation des objets pour les particuliers.

Comment est-ce que c’est financé ? Pour certains produits, les producteurs doivent adhérer et verser une somme d’argent à une structure appelée “éco-organisme”. Cette somme d’argent est gérée par l’éco-organisme et est placée dans un “fonds de réparation”. Cette enveloppe financière est ensuite utilisée pour financer une partie des coûts de réparation des produits, lorsqu’ils sont réparés par des professionnels·lles labellisés·es. Ce mécanisme  permet aux consommateurs et consommatrices de bénéficier d’un tarif réduit lorsqu’ils font réparer leurs objets par l’un des réparateurs et réparatrices labellisés·es. 

Le fonds réparation a pour objectif final d’augmenter le recours à la réparation. Puisque la réparation sera moins chère pour les consommateurs et consommatrices, ils et elles seront encouragé·es à faire davantage réparer leurs objets.
En effet, d’après l’Agence de la transition écologique (ADEME), le montant de la facture est l’un des plus gros freins des consommateurs et consommatrices pour faire réparer leurs objets. Plus précisément, lorsque le coût de réparation est supérieur à un seuil “psychologique” de 30% du prix du produit neuf, les particuliers ne sont pas enclins à réparer leurs produits.

Une régression décevante des ambitions de la loi anti-gaspillage

Zero Waste France a suivi de près l’évolution des textes qui concernent le réemploi et la réparation des produits. Elle avait déjà alerté le Gouvernement sur la nécessité de maintenir un outil fort pour permettre d’encourager réellement la réparation. 

Initialement, le montant des ressources financières allouées au fonds réparation devait être au moins égal à 20 % des coûts estimés de la réparation des produits (décret du 27 novembre 2020).  

Néanmoins, ces coûts supplémentaires n’ont pas été accueillis favorablement par tous les secteurs, en particulier par celui des équipements électriques et électroniques (EEE) dont les coûts estimés de la réparation se sont révélés plus élevés qu’anticipé. 

Finalement, après plusieurs mois de concertation et sous la pression des lobbies, le Gouvernement a modifié ce texte, par un décret du 30 décembre 2021, en diminuant le montant minimal de l’enveloppe du fonds à 10 % des coûts estimés de la réparation. Il a également permis que le montant de l’enveloppe puisse augmenter progressivement, sur une période de six ans – atteignant donc 10% au bout de six ans et non dès la première année de mise en œuvre, comme prévu initialement par le décret de 2020.

C’est ce décret du 30 décembre 2021 dont les associations Zero Waste France et les Amis de la Terre demandent l’annulation. Cette contestation fait suite à une première action inter-associative du 6 décembre 2021 contre le nouveau cahier des charges de la filière de responsabilité élargie du producteur (REP) des équipements électriques et électroniques (EEE). Ce texte, pris avant la modification du nouveau décret, actait déjà la baisse du montant du fonds pour la filière des EEE. L’action des associations – sous la forme d’un recours gracieux auprès du Ministère de la transition écologique – est demeurée sans réponse.

Une réduction du montant du fonds réparation lourde de conséquences

De manière concrète, un montant de réparation de 20% tel que prévu initialement, aurait abouti à une enveloppe de 203 millions d’euros dès 2022 (avec une augmentation jusqu’à 233 voire 259 millions d’euros en 2027 selon l’ADEME, en concordance avec l’augmentation des coûts de la réparation). Sur la base du nouveau décret, l’enveloppe utilisée pour la réparation ne sera plus que de 10 % du montant estimé de la réparation, soit 20,4 millions d’euros en 2022 (et 102 millions d’euros en 2027). C’est donc de plus de 180 millions d’euros dont le fonds de réparation sera privé !

Cette division par deux de l’enveloppe financière du fonds est inacceptable, puisqu’elle signifie moins de budget versé par les producteurs pour participer à la réparation de leurs produits. Les consommateurs et consommatrices seront bien moins incité·es financièrement à faire réparer leurs produits et pourront préférer en acheter des neufs pour les remplacer. Or, la réparation a de nombreux bénéfices environnementaux, mais aussi sociaux et économiques

D’abord, elle permet d’économiser l’énergie et les ressources pour fabriquer de nouveaux objets. Par exemple, la réparation d’une télévision arrivée à la moitié de sa durée de vie permet d’éviter de produire 90 kg de CO2 d’après l’ADEME. Sachant qu’une famille possède en moyenne cent équipements électriques et électroniques (selon une étude de l’OCAD3E), leur réparation pourrait éviter de produire de grandes quantités d’émissions de gaz à effet de serre. 

La diminution de l’enveloppe du fonds réparation est aussi source d’une augmentation des déchets, notamment électriques et électroniques. En effet, en diminuant l’incitation des particuliers à réparer leurs produits, la nouvelle réglementation augmente nécessairement le nombre d’objets cassés ou obsolètes qui seront jetés plutôt que réparés. Or, 1,2 milliards d’équipements électriques et électroniques ont été jetés en 2019, ce qui correspond à 2,9 milliards de tonnes de déchets. 

Enfin, la réparation est un secteur économique pourvoyeur d’emplois locaux non délocalisables. Ainsi, un rapport de l’ONG Gaïa établit que la réparation crée en moyenne 404 emplois pour 10 000 tonnes de déchets traités par an, soit 200 fois plus d’emplois que l’élimination des déchets. Le fonds réparation devait permettre aux particuliers d’éviter des coûts de rachat de certains produits et donc de réaliser des économies tout en soutenant le secteur de la réparation, qui reste fragile notamment face à des prix de produits neufs en constante baisse qui viennent concurrencer fortement son attrait. 

En réduisant le montant du fonds de réparation, le Gouvernement a saboté un outil ambitieux et favorable à la protection de l’environnement. Après une loi climat vidée de sa substance, le Gouvernement revoit de nouveau à la baisse des textes forts qui permettraient de réelles avancées environnementales, sociales et économiques. 

Quels arguments juridiques contre le décret ?

D’un point de vue juridique, le décret modifiant le fonds réparation méconnaît le principe environnemental de non régression (article L. 110-1 du Code de l’environnement). Le Gouvernement doit édicter des textes qui améliorent constamment la protection de l’environnement et ne doit pas faire de retour en arrière. Or, en divisant par deux l’enveloppe minimale prévue pour la réparation, le Gouvernement est revenu en arrière et a méconnu ses engagements en faveur de la protection de l’environnement. En outre, le décret méconnaît les objectifs de la politique nationale de prévention et de gestion des déchets (article L. 541-1 du Code de l’environnement). En n’abaissant pas suffisamment le coût de la réparation pour le consommateur, le fonds de réparation tel que modifié par le décret, freine le recours à la réparation et méconnaît la hiérarchie des modes de traitement des déchets.

Par leur recours déposé devant le Conseil d’Etat, Zero Waste France et les Amis de la Terre France espèrent faire annuler le décret et obtenir un nouveau cahier des charges pour la filière DEEE, avec une enveloppe minimale du fonds réparation ne pouvant être inférieure à 20 % des coûts estimés de la réparation. Une telle action en justice s’inscrit logiquement à la suite de la mobilisation de Zero Waste France pour lutter contre les tentatives de sabotage de l’ambition du fonds de réparation.   

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