12 mars 2015
Thibault Turchet

L’incinération des déchets

126 usines d'incinérations traitent environ 14.5 millions de tonnes de déchets chaque année en France. Quels enjeux pour cette filière peu circulaire ?

Crédit photo : Edouard Marchal
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Quelques chiffres

Le parc d’incinération français fait partie des plus importants d’Europe : 126 usines d’incinération traitent annuellement environ 14.5 millions de tonnes de déchets, majoritairement ceux des collectivités locales et des ménages. L’incinération consiste à brûler les déchets à haute température dans des fours avec excès d’oxygène, afin d’en réduire le volume. Ce mode de traitement est polluant et non soutenable, car en réalité environ 20/25% du tonnage entrant ressort sous forme de « mâchefers » (imbrûlés, incombustibles, cendres…), et 3% sous forme de résidus d’épuration des fumées (REFIOM) classés « dangereux ». Chaque année, l’incinération des déchets produit donc environ 3 millions de tonnes de mâchefers majoritairement écoulés sous forme de remblais routier, et 470 000 tonnes de REFIOM à éliminer en installations spécifiques (anciennes mines, décharges pour déchets dangereux…).

Si l’incinération est certes encadrée par la réglementation, elle émet des polluants dans l’air (normés mais pas à « zéro »), ainsi que des rejets aqueux en fonction du mode de traitement des fumées. Les investissements lourds dans ces usines, d’au moins plusieurs dizaines voire centaines de millions d’euros, et la nécessité de les faire fonctionner toute l’année 24h/24 hors maintenance, ainsi que la tendance à les surdimensionner, freinent fortement les démarches locales de réduction et de recyclage des déchets. Pour faire oublier cela, les usines d’incinération sont opportunément renommées « unités de valorisation énergétique » lorsqu’elles produisent de la chaleur et/ou de l’électricité.

Quelle réglementation applicable ?

Exploitées à 90% d’entre elles par des majors du secteur (Véolia, Suez et leurs filiales), les usines sont encadrées par l’arrêté du 20 septembre 2002 qui prévoit les normes techniques à respecter : limites de polluants autorisés, traitement des fumées, mesure des rejets, etc.

La loi de transition énergétique, sans soutenir expressément l’incinération, prévoit qu’il faut « assurer la valorisation énergétique des déchets qui ne peuvent être recyclés en l’état des techniques disponibles« . En réalité, l’incinération bénéficie de nombreuses dispositions réglementaires et fiscales favorables. La moitié de l’énergie produite est considérée comme renouvelable, de même que la moitié du CO2 émis n’est pas comptabilisé car considéré comme « biogénique » (papier, biodéchets, bois, etc.). Les réseaux de chaleur alimentés par au moins 50% d’énergie renouvelable, dont celle des incinérateurs qui entre dans la comptabilisation, bénéficient d’un taux de TVA réduit, et les usines les plus efficaces bénéficient de réductions sur la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). La production d’électricité a quant à elle bénéficié d’un soutien de longue date, avec un système d’obligation d’achat à tarif garanti.

Les enjeux actuels

L’incinération, dont le coût moyen s’élève à environ 120€ par tonne de déchets traités, constitue un  traitement relativement onéreux, bien que moins cher que le recyclage ou le compostage à court terme. En particulier, les investissements très lourds lors de la construction d’une usine ou sa mise aux normes obèrent les budgets qui peuvent localement être mobilisés sur les autres filières, malgré des « partenariats publics – privés » dont la prise en charge financière repose toujours in fine sur les collectivités et leurs usagers.

La valorisation énergétique sous forme de chaleur et/ou d’électricité est de plus utilisée aujourd’hui comme un argument d’autorité pour justifier cette filière qui n’a rien de circulaire, alors même que la prévention, le recyclage et le compostage permettant d’économiser au final bien plus d’énergie que ce que l’incinération peut en produire de façon instantanée. Pour être efficace d’un point de vue énergétique, et économiquement « rentable » dans un contexte où certains frais sont fixes, un incinérateur doit fonctionner au plus près de sa capacité technique autorisée (les recettes sont principalement issues de la revente d’énergie, et du prix payé pour le traitement de chaque tonne).

Bien qu’aucune collectivité ne l’exprime ainsi, ces considérations technico-économiques amènent régulièrement des collectivités à remiser des politiques de prévention / recyclage qui concurrenceraient trop l’exploitation de l’usine d’incinération locale, dont la zone de chalandise s’étend en général aux agglomérations, Métropoles, mais parfois à tout un département voire au-delà.

Si les tonnages incinérés ont fortement augmenté depuis les années 2000, ceux-ci stagnent globalement ces dernières années, grâce à la prévention des déchets et l’augmentation des taux de recyclage / compostage. La diminution régulière et continue des déchets résiduels ces dernières années a ainsi amené l’Ademe à constater, dans un avis publié en 2017, qu’il n’y a globalement pas de besoin en nouvelles capacités sur le territoire français. Dans la mesure où les déchets incinérés sont très majoritairement des déchets ménagers, les collectivités sont donc un acteur majeur pour réduire les tonnages ainsi traités. Il appartient également aux Régions, dans le cadre de la planification des déchets en cours jusqu’en 2019, de s’assurer que leur territoire n’est à tout le moins pas en surcapacité sur ce point.

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