Incinérateur de Créteil : les associations font appel
Alors que le rapporteur public avait conclu à l’insuffisance de l'étude d'impact ne démontrant pas que « l’augmentation des capacités répond à un besoin régional », les juges du Tribunal administratif de Melun ont rejeté la demande des associations tendant à l’annulation de la construction d’une troisième ligne de four.
Une étude d’impact « à la limite de l’enfumage »
En avril 2021, les associations Affamons l’incinérateur de Créteil (ALIC), France Nature Environnement Île-de-France et Zero Waste France demandaient au tribunal administratif de Melun d’annuler l’arrêté en ce qu’il autorise la construction d’une troisième ligne de four et conduisant ainsi à augmenter de moitié les capacités de l’incinérateur existant.
Dans son étude d’impact, Valo’marne, filiale de SUEZ et société exploitante de l’installation, soutient que la création d’une nouvelle ligne d’une capacité de 120 000 tonnes est nécessaire, dès lors que les gisements de déchets en Île-de-France auraient vocation à croître de 300 000 tonnes supplémentaires par an d’ici à 2031, là où les capacités de valorisation énergétique de la région seraient insuffisantes [1].
Pourtant, l’autorité environnementale avait émis plusieurs réserves à cette appréciation, en recommandant au maître d’ouvrage d’apporter des précisions s’agissant des quantités de déchets qu’il projette de traiter, selon leur nature, afin de justifier l’augmentation des capacités de l’incinérateur [2].
Plus spécifiquement, le Plan régional de prévention et de gestion des déchets (PRPGD) prévoit qu’il est possible d’augmenter la capacité des unités de valorisation énergétique (UVE) ou des installations de combustion de combustibles solides de récupération (CSR), si plusieurs conditions sont réunies. Tout d’abord, une augmentation des capacités implique notamment la réalisation d’un diagnostic permettant d’établir l’existence d’un besoin et la preuve de l’inefficacité des actions de prévention prévues sur le territoire. En outre, le PRPGD encourage, pour des raisons de réversibilité et d’adaptabilité aux gisements, que les installations d’incinération soient convertibles en unité de valorisation énergétique de CSR [3].
En l’occurrence, le maître d’ouvrage fait notamment valoir, au travers de son étude d’impact, que son projet serait susceptible d’évoluer pour valoriser des CSR, conformément au PRPGD. Pourtant, selon l’autorité environnementale, aucun engagement n’a été pris en ce sens et le maître d’ouvrage n’en démontre pas la faisabilité technique [4].
Face à l’absence d’éléments pourtant prévus par le PRPGD en cas d’augmentation de capacités, le rapporteur public fustige : « le projet est présenté comme nécessaire, on est à limite de l’enfumage ». Si le rapporteur considère que les insuffisances de l’étude d’impact ont nui à l’information du public, il n’en conclut pas pour autant à l’incompatibilité de l’arrêté litigieux avec le PRPGD. Afin de pallier aux insuffisances de l’enquête publique, celui-ci soutient toutefois la nécessité d’organiser une nouvelle consultation du public.
UVE, CSR, quésaco ?
La valorisation énergétique des déchets désigne la production d’énergie à partir de déchets, qu’il s’agisse de la finalité principale ou secondaire de l’installation où elle est réalisée. L’incinération, qui en est une de ses formes, était classiquement réalisée dans des unités d’incinération des ordures ménagères (UIOM). Or, ces dernières ont progressivement été remplacées par des installations aujourd’hui qualifiées d’unités de valorisation énergétique (UVE), dans la mesure où les incinérateurs ont été équipés pour transformer l’énergie libérée par la combustion des déchets en énergie (électricité et/ou chaleur).
Là où les UVE traitent notamment les OMR directement issus de la poubelle grise, les CSR désignent des déchets qui ont été préalablement triés afin d’être préparés sous forme de combustibles. Dans ce contexte, les CSR ont vocation à être utilisés en remplacement d’un combustible classique comme le gaz ou le charbon, afin d’alimenter directement une installation en énergie. Ils sont souvent employés en co-incinération avec un autre combustible, comme le bois.
Une décision à rebours de l’urgence de réduire nos déchets
Par un jugement en date du 10 octobre 2024, le Tribunal administratif de Melun a jugé que s’il existe bien un besoin d’incinération supplémentaire, ce besoin est composé essentiellement de déchets « qui ont vocation à être dirigés vers des installations de combustion de CSR, ou, à tout le moins, vers des UVE capables de traiter de ce type de déchets ». Ainsi, les juges reconnaissent que « l’étude d’impact se borne à faire état d’une augmentation globale du besoin d’incinération pour justifier une augmentation des capacités, sans pour autant préciser la nature des besoins supplémentaires » [5].
Pourtant, et contre toute attente, le tribunal considère finalement qu’ « il est constant que l’étude d’impact relève, sans commettre d’erreur d’appréciation, qu’il existera un besoin supplémentaire d’incinération sur la région Ile-de-France », concluant finalement au rejet de la requête [6].

Plus globalement, dès 2017, l’Ademe avait déjà mis en évidence que « le parc d’incinération existant contribue déjà de manière importante à l’objectif de réduction des tonnages mis en décharge » et que « les projections nationales tablent sur une capacité globale constante du parc existant d’unités d’incinération ». Ce constat avait conduit l’Agence à recommander aux collectivités « d’utiliser au mieux les capacités existantes en mutualisant leurs besoins » [7].
« En Europe, la France est déjà l’État le plus équipé en incinérateurs de déchets, en concentrant un tiers des capacités européennes. Pourtant, dans les territoires, les groupes locaux du mouvement Zero Waste ne cessent de nous alerter sur le montage de nouveaux projets d’incinérateurs, qu’il s’agisse d’accroissement des capacités des unités de valorisation énergétique ou de projets de ‘chaudières’ CSR. Généralement, lorsqu’il s’agit de rénover une installation existante, la modernisation va s’accompagner d’un accroissement significatif des capacités, alors même que nous continuons à prendre du retard sur l’atteinte de nos objectifs en matière de réduction des déchets. Le cas de Créteil est emblématique de ces écueils » alerte Bénédicte Kjaer Kahlat, Responsable des affaires juridiques à Zero Waste France.
La confirmation par le tribunal de l’accroissement des capacités de l’incinérateur, incompréhensible pour les associations selon lesquelles le besoin n’est pas démontré, les a conduit à faire appel de la décision.
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[1] Dossier de Demande d’Autorisation Environnementale relative à l’évolution de l’Unité de Valorisation Energétique exploitée par VALO’MARNE à Créteil (94), Etude d’impact, 13 mars 2020, v. not. p. 18/361.
[2] Avis délibéré en date du 19 mai 2020 de la Mission régionale d’autorité environnementale d’Île-de-France sur le projet d’extension de l’unité d’incinération de déchets non dangereux située à Créteil (94) (Avis de la MRAe du 19 mai 2020).
[3] Région Île-de-France, Plan régional de prévention et de gestion des déchets, Chapitre III – Analyse et prospective du parc des installations, p. 109/257
[4] Avis de la MRAe du 19 mai 2020, Op. cit., p. 35/36.
[5] Tribunal administratif de Melun, req. n° 2103852, 10 octobre 2024, considérant 5.
[6] Ibid.
[7] Les avis de l’ADEME, Quel avenir pour le traitement des Ordures Ménagères Résiduelles ?, mars 2017