Fast-Fashion : la CMP pourra-t-elle déjouer le piège des lobbies ?

Après de longs mois d’attente, le Sénat vient enfin de voter sa version de la loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile.

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Bluesky

Dans un premier temps tentés par un affaiblissement du texte par rapport à la version adoptée par l’Assemblée nationale, le gouvernement et le Sénat ont corrigé certains risques de contournement identifiés par la coalition “Stop Fast-Fashion”. Pourtant, un nœud majeur persiste : plutôt qu’un texte encadrant l’ensemble des pratiques du secteur textile, le Sénat cible la seule mode ultra éphémère. Si cette dernière pousse à leur paroxysme les mauvaises pratiques, en en faisant son unique objet, le texte laisse une large majorité d’acteurs dans son angle mort.

Le Sénat vient aujourd’hui de voter un texte très attendu par les acteurs du textile et les associations. Issue de plusieurs compromis, la version du Sénat propose désormais une définition de la mode dite “ultra express”. Elle y exclut les plateformes multimarques en prenant le soin de préciser que cette exclusion n’est valable que si la plateforme ne constitue pas le canal de vente principal d’un produit. Cette précision devrait permettre d’éviter un contournement trop facile de la part de Shein, Temu ou leurs avatars, dont la plupart des vendeurs ne sont présents que sur leur plateforme.

Autres avancées : la méthodologie de calcul des pénalités a été précisée pour introduire certains éléments de l’affichage environnemental textile et le seuil de pénalités a été maintenu. Le gouvernement a fait réintroduire par amendement l’interdiction de la publicité au sens large, mais uniquement après s’être assuré que cette disposition ne concernait que la mode “ultra express”. Si ces éléments constituent un signe positif en comparaison de la version du texte sortie de commission, la mouture actuelle a, en vérité, vu son périmètre d’application largement restreint par rapport au texte originelle qui constituait une avancée mondiale pour le secteur.

En effet, les explications de vote solennelles ayant eu lieu aujourd’hui au Sénat confirment une véritable victoire idéologique et politique de la fast-fashion dite “traditionnelle”. Avec l’avènement de Shein et Temu et la cristallisation du débat sur eux seuls, les enseignes qui uniformisent nos rues comme Zara, Primark ou encore Kiabi bénéficient désormais d’une véritable fenêtre d’Overton. Ces grands groupes textiles européens sont des responsables historiques de la dévitalisation des centres villes et de la délocalisation des usines de production, motivée par une course à la rentabilité au détriment des droits humains et de l’environnement. Pourtant, aujourd’hui, leur puissance de lobbying et la complicité du gouvernement leur ont permis de se dédouaner en se cachant derrière les géants chinois de l’ultra fast-fashion. Ainsi, la loi supposée réguler l’ensemble de la fast-fashion ne les concerne que très peu, voire les conforte. Les organisations de la coalition “Stop Fast-Fashion” le regrettent.

Prévue à la rentrée, après notification du texte actuel auprès de la Commission européenne, la commission mixte paritaire peut encore changer la donne. En précisant la définition de la fast-fashion dans l’article 1 et en annexant un système de primes et pénalités progressives à l’affichage environnemental textile, les parlementaires ont encore l’opportunité de voter une loi proposant un encadrement global du système de mode éphémère. Ce n’est qu’en permettant la mise en place d’un système de pénalités évolutives que la loi peut encourager toutes les entreprises à revoir leurs pratiques.

Citations des organisations membres de la coalition Stop Fast-Fashion

“La crise de l’industrie textile a commencé bien avant les géants est-asiatiques , avec l’arrivée de la fast-fashion dans les années 2000. Si on laisse intouchés les géants européens, alors cette loi n’est plus une loi de protection de l’environnement mais bien un texte de protection de la fast-fashion européenne face aux géants chinois, offrant un quasi-monopole à Zara, H&M et autre Primark pour continuer à cannibaliser le secteur.” Pierre Condamine, chargé de campagne surproduction chez Les Amis de la Terre.

« Les volumes de déchets textiles explosent : en amont, comme en aval, c’est une catastrophe sanitaire et environnementale« , commente Pauline Debrabandere, Responsable Plaidoyer & Campagnes de Zero Waste France. « Cette surproduction est un problème global qui concerne l’ensemble du secteur et doit être adressé de manière systémique. Si la loi ne prend pas cela en compte, ce sera un coup d’épée dans l’eau« .

“Si les Ressourceries et recycleries ont effectivement vu l’arrivée de vêtements des géants chinois tel que Shein ou Temu dans les dons sur les dernières années, cela fait bien longtemps que ces structures constatent et dénoncent la baisse drastique de la qualité des vêtements et surtout la surproduction directement liée à l’arrivée de la fast-fashion. Ne pas condamner l’intégralité des marques de la fast-fashion reviendrait à accepter de laisser ces marques sur-produire des vêtements à la durée de vie extrêmement courtes et in fine de tirer un trait sur les ambitions de développement du réemploi de ce secteur.” Gloria Taoussi, cheffe de projet plaidoyer au Réseau National des Ressourceries et Recycleries. 

“Que l’on parle de fast fashion ou d’ultra fast fashion, le modèle économique reste le même : une course effrénée vers des coûts de production toujours plus bas et une surproduction insoutenable. Ce système ne peut exister qu’au détriment de l’environnement et des droits fondamentaux des travailleurs et travailleuses. Il est impératif que tous les acteurs de l’industrie repensent en profondeur leur modèle économique. Cette loi constitue une réelle opportunité pour les accompagner dans cette nécessaire transition.”Valeria Rodriguez, directrice du plaidoyer chez Max Havelaar France.

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