JOP de Paris 2024 : faux départ pour le réemploi des emballages

Alors que les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) ont été annoncés comme un immense événement “zéro déchet” et “zéro plastique à usage unique”, les modalités de distribution des boissons par le sponsor officiel des Jeux - Coca-Cola - sont en réalité toutes autres. Décryptage.

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Le greenwashing, nouvelle épreuve des Jeux de Paris 2024

Les annonces étaient alléchantes : selon la charte « Notre engagement Paris 2024 » [1] du Comité d’Organisation des Jeux olympiques et paralympiques Paris 2024 (ci-après “COJOP”), l’ensemble des Jeux allaient être “zéro plastique à usage unique”.

Coca-Cola, partenaire officiel ayant obtenu l’exclusivité de la distribution et la vente des boissons pendant les Jeux, allait “faire évoluer sa gamme de boissons pour atteindre [cet] objectif zéro plastique à usage unique[2], via trois types de solutions : des bouteilles en plastique recyclé (rPET), du vrac avec des fontaines à soda, et des bouteilles en verre pour réemploi.

Première alerte pour les ONG face à ces annonces : comment des bouteilles en plastique recyclé pourraient-elles faire partie d’une stratégie zéro plastique à usage unique ? La bouteille, quand bien même en plastique recyclé, ne sera utilisée qu’une seule fois avant de finir à la poubelle. Il s’agit donc bel et bien de plastique à usage unique, inclus dès les prémisses dans la feuille de route de Coca-Cola, prévoyant cette option lorsque “les conditions opérationnelles empêchent l’installation de fontaines[3].

Deuxième alerte : en avril 2023, le journal L’Équipe révélait que le COJOP avait l’intention de mettre à la disposition des athlètes des bouteilles d’eau en plastique (voir ci-dessous). La publication par le COJOP d’une Stratégie “pour un évènement plus circulaire” au mois de novembre, confirme un nouvel engagement au rabais : celui de réduire de 50% les emballages plastiques à usage unique dans la restauration pendant les jeux, par rapport aux JO de Londres de 2012 [4]. Il est notable que cet objectif est formulé en des termes flous dans ce document stratégique, qui ne précise pas la valeur de référence (la référence aux jeux de Londres étant amenée de manière subséquente).

Or, comme l’ont révélé début juin 2024 le média Vakita et plusieurs ONG dont Zero Waste France, une note confidentielle du COJOP prévoit que sur les 18 millions de boissons distribuées (gratuitement ou vendues) par Coca-Cola pendant les Jeux (au public et aux athlètes), plus de la moitié le seront via ces bouteilles en plastique [4].

Pour ce qui est des boissons prévues à la vente, les trois quarts proviendront de bouteilles en plastique jetables, soit 6,4 des 9 millions de boissons vendues au public. Mais l’entourloupe ne s’arrête pas là : les boissons servies à partir de bouteilles en plastique seront présentées au public dans des éco-cups consignées. Ni vu ni connu, Coca-Cola pourra se targuer de distribuer les trois quarts de ses boissons “sans contenant plastique à usage unique”. Mais avec beaucoup de greenwashing, surtout.

Autre point d’alerte : il semblerait que les éco-cups consignées prévues pour les Jeux soient “collector” [5]. Autrement dit, elles feront l’objet d’un branding, à l’effigie des Jeux 2024 : le principe même de goodies collector n’incite pas les consommateur·ices à les retourner. Exit le principe de consigne pour réemploi.

Des distributions de bouteilles en plastique en dehors du cadre de la loi

Depuis la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (loi dite “AGEC”) de février 2020, la distribution gratuite de bouteilles en plastique est interdite dans les établissements recevant du public et les locaux à usage professionnel : pour les équipes techniques lors de concerts ou les sportif·ves lors de compétitions notamment. La loi prévoit toutefois une série d’exceptions : l’établissement n’est pas desservi en eau potable, l’existence d’un impératif de santé publique, ou lorsque l’eau est tout simplement impropre à la consommation humaine, comme par exemple à Mayotte [4].

Pour rappel, le journal L’Équipe avait révélé en avril 2023 que le COJOP comptait invoquer un impératif de santé publique afin de pouvoir distribuer gratuitement 4 millions de bouteilles en plastique aux athlètes et aux arbitres durant les Jeux [5]. Selon le COJOP – qui reprend ici l’argumentaire des lobbyistes de Coca-Cola [6] -, il s’agirait d’un enjeu de santé publique, l’objectif étant “d’éviter le dopage par sabotage”, entre autres. Cette volonté d’invoquer un “impératif de santé public”, cette fois-ci en raison d’un risque de contamination, a été confirmée par la note confidentielle révélée par Vakita. Pourtant, toujours selon les révélations de L’Équipe, certaines épreuves, comme celles de tennis, prévoient des gourdes et des fontaines à eau pour les athlètes [7]. La Fédération française de tennis, propriétaire du site olympique de Roland Garros, a déployé un système de fontaines raccordées au réseau d’eau potable, complété par des bonbonnes à eau de 20 litres, scellées et réutilisables 20 fois. La preuve que de se passer de plastique à usage unique pour des événements sportifs d’envergure est bel et bien possible.

Pourtant, aucun document officiel n’atteste ni ne justifie le contournement de l’interdiction de distribution de bouteilles en plastique. C’est ainsi qu’au mois d’avril dernier, Zero Waste France a déposé, aux côtés de No Plastic in My Sea, Surfrider Foundation Europe et France Nature Environnement, une demande de communication d’informations environnementales relative au déroulement des Jeux, afin de confirmer l’octroi d’une telle autorisation. Depuis, les Ministères de la Transition Écologique et des Sports nous ont répondu ne pas détenir une telle information, là où la Délégation interministérielle des JOP est demeurée silencieuse.

Or, depuis un décret du 18 avril, le Code de l’environnement prévoit expressément que le préfet est l’autorité compétente pour mettre fin à la violation des mesures d’interdiction sur les plastiques à usage unique prévues par la loi AGEC [8]. Nous avons donc saisi le préfet de police de Paris sur ce fondement, en l’enjoignant de faire respecter l’interdiction de distribuer des bouteilles en plastique durant les JOP. En effet, pour les associations, distribuer de telles bouteilles au prétexte d’un impératif de santé public ne tient pas : le caractère « impératif » ne saurait être caractérisé puisque des solutions alternatives et sans plastique sont parallèlement proposées aux athlètes.

Pourtant, l’interdiction de distribuer des bouteilles pour boisson en plastique issue de la loi Agec est loin d’être anodine : il s’agissait d’une mesure phare pour réduire la pollution plastique, à l’heure où un consensus scientifique et politique a émergé sur la nécessité d’endiguer la prolifération du plastique, au regard de ses impacts sur l’environnement, la santé et les droits humains.

Pour mémoire, la France s’est engagée dès 2020 à mettre fin aux emballages plastiques à usage unique d’ici 2040, et pour ce faire, à diviser par deux le nombre de bouteilles en plastique mises en marché d’ici 2030 [9]. Pour l’instant, nous n’avons pas avancé d’un iota. Pire, selon les derniers chiffres de l’ADEME, les mises en marché ont progressé de 4% en 2022, par rapport à 2021 [10].

Outre de relever d’une pratique potentiellement illégale, le recours aux bouteilles jetables est donc en totale contradiction avec le cap que le pays s’est fixé. Pour Zero Waste France, il est inacceptable que l’État cautionne la relégation des lois visant à préserver l’environnement au second plan.

L’occasion d’interpeller les plus gros pollueurs au monde

Alors que ces Jeux olympiques et paralympiques auraient dû être l’occasion de montrer au monde qu’il était possible d’organiser un événement d’une telle ampleur sans plastique et  sans usage unique, on est ici bien loin du compte.

Lorsque les sponsors financiers et opérationnels de ces événements font partie des pires pollueurs au monde, comment la société civile peut-elle attendre des engagements véritables de ces grandes entreprises ?” s’interroge Pauline Debrabandere, Coordinatrice de campagne au sein de Zero Waste France. Pour rappel, en 2023, Coca-Cola a été élu pour la sixième année consécutive le pire pollueur plastique au monde, selon le réseau Break Free From Plastic [11], dont Zero Waste France est membre.

Notre campagne sur le plastique

Face à de telles pratiques, des ONG internationales se sont mobilisées pour interpeller les sponsors des Jeux de Paris 2024. Le 10 juillet dernier, l’ONG Oceana a par exemple adressé une lettre – signée par des athlètes et des organisations sportives participant aux Jeux de Paris 2024 – à Coca-Cola, Coca-Cola Europacific Partners (le plus grand embouteilleur de Coca-Cola) et Pepsi, les appelant à augmenter le nombre d’emballages réutilisables lors des Jeux [12].

Quelles solutions pour les spectateur·ices de ces événements ?

Face à ce manque d’ambition, les groupes locaux du réseau Zero Waste ont souhaité proposer des solutions concrètes aux spectateur·ices désireux·ses de profiter de ces grands événements sportifs, tout en limitant leur impact :

  • Le guide de l’éco-supporter (également disponible en anglais), imaginé par Montpellier Zéro Déchet, Zero Waste Paris et Zero Waste Sophia, réunit des conseils pratiques quant à l’équipement, les déplacements, les repas et boissons, ou encore les souvenirs ;
  • Zero Waste Paris animera un stand à destination du public les 27 juillet et 7 août, avec un quizz de l’éco-supporter, une dégustation d’energy balls en vrac, ou encore la fabrication de poubelles de poche. Vous pourrez les retrouver aux Canaux, dans le 19ème arrondissement de Paris.

Les groupes locaux et militant·es du réseau restent vigilant·es tout au long de la période. À la suite du passage de la flamme olympique dans sa commune, une militante a par exemple interpellé la municipalité de Saverne sur l’utilisation de gobelets en plastique jetables – dont l’utilisation est par ailleurs interdite par la loi – par une partie des acteur·ices gérant des buvettes éphémères, alors même que les buvettes associatives avaient pour consigne d’utiliser des verres réemployables.

Le temps de repenser en profondeur l’organisation de “méga” événements internationaux ?

L’élévation de voix contestataires à l’annonce de ces méga événements est de plus en plus courante. Au-delà de leurs coûts environnementaux et humains, l’hypocrisie des organisateur·ices pousse la société civile à l’action. C’est ainsi que lors de la coupe du monde de football au Qatar en 2022, des ONG de plusieurs pays avaient obtenu gain de cause, après avoir contesté les allégations de “neutralité carbone” avancées par la FIFA [13].

Dans un contexte de crise climatique, le coût environnemental d’un tel événement est évidemment au cœur des préoccupations de Zero Waste France : accueil de participant·es et de spectateur·ices du monde entier, production de goodies en tout genre, tentative de dépollution temporaire de la Seine, artificialisation des sols, consommation de plastiques à usage unique… Le jeu en vaut-il encore la chandelle ?

Les Jeux justifient surtout des dépenses publiques colossales, notamment pour la construction d’infrastructures sportives vouées à ne servir que quelques semaines, là où la pertinence du legs pour la population ne cesse de questionner (les communautés locales ont-elles réellement besoin d’une énième piscine olympique ?). De son côté, la Cour des comptes dénonçait dès 2022 “une sous-estimation évidente du budget de candidature[14].

D’autant que – et au-delà des pratiques de greenwashing relatives notamment aux émissions de carbone ou aux politiques déchets – ces événements sportifs d’ampleur laissent des traces durables au sein de la société. En l’occurrence, les scandales successifs n’ont cessé d’ébranler la légitimité de l’accueil des Jeux à Paris : absence de consultation de la population d’Île-de-France, artificialisation des dernières terres arables de la petite couronne avec la destruction d’une partie des jardins ouvriers d’Aubervilliers, expropriation d’habitant·es en Seine-Saint-Denis pour les nécessités des chantiers, avec le recours à un droit dérogatoire pour ne pas avoir à respecter les conditions de relogement, réquisitions des logements étudiants durant toute la période des Jeux avec, pour seule indemnisation, la modique somme de 100 euros et deux places pour assister à des épreuves… Sans évoquer l’évacuation de sans-papiers et la destruction de réseaux de solidarité qui s’étaient mis en place au fil des année. Et la liste est encore longue.

Le 25 juillet 2024, le collectif d’associations mobilisées contre la précarité Le revers de la médaille, organise une contre-cérémonie d’ouverture des JOP de Paris, afin de dénoncer ces dérives. Zero Waste France soutient cette initiative et rappelle qu’un projet de société zéro déchet, zéro gaspillage, doit nécessairement prendre en compte les enjeux de justice sociale.

Conseils de lecture pour aller plus loin : 

Sources

[1] COJOP de Paris 2024, “Notre engagement pour Paris 2024”, 2020.

[2] Ville de Paris, “Paris accélère pour mettre fin au plastique à usage unique”, mis à jour le 26 mai 2023.

[3] Cocacola.com “Coca‑Cola dévoile son dispostif et ses engagements pour célébrer la magie des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024

[4] COJOP – Paris 2024, “Pensez l’après jeux avant les jeux. La stratégie de Paris 2024 pour un événement plus circulaire”, novembre 2023 ;

[4] Voir notamment le post d’Arnaud le Berrigaud sur le réseau social LinkedIn.

[3] Coca-Cola et les JO de Paris : révélations sur une opération de « greenwashing » – Vakita

[4] Article 77 de la loi AGEC codifié à l’article L. 541-15-10 III 2e alinéa 10du Code de l’Environnement.

[5] L’Équipe, “Le COJOP demande une dérogation pour les bouteilles à usage unique”, 1er Avril 2023.

[6] Mediapart, “Avec les JO, Coca-Cola veut faire oublier qu’il cause l’obésité”, 14 juillet 2024.

[7] La volte-face de Paris 2024 sur les bouteilles en plastique pour le tournoi de tennis – L’Équipe

[8] Article R. 541-344 du Code de l’environnement créé par Décret n° 2024-359 du 18 avril 2024.

[9] Article 7 de la loi AGEC codifié à l’article L. 541-10-17 alinéa 1 du Code de l’environnement ; article Article 66 de la loi AGEC codifié à l’article L. 541-10-11 I. alinéa 3 du Code.

[10] Ademe, Dossier de presse, juin 2023.

[11] Break Free From Plastic, “2023 Global Brand Audit: The Coca-Cola Company is once again the top global plastic polluter”, 7 février 2024.

[12] Environnement Magazine, “JOP 2024 : des athlètes demandent des emballages réutilisables à Coca-Cola et Pepsi”, 11 juillet 2024.

[13] Notre affaire à tous, Communiqués de presse du 15 novembre 2022 et du 7 juin 2023.

[14] Cour des Comptes, “L’organisation des jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024”. Rapport complémentaire au Parlement, Article 29 de la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018, juillet 2023, p. 11.

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