Budget 2026 : l’enjeu d’une fiscalité incitative pour réduire les déchets enfouis et incinérés
Une hausse de la TGAP efficace sur la réduction de l’enfouissement
Actée dans la feuille de route pour l’économie circulaire en avril 2018, puis adoptée dans la loi de finances pour 2019, la réforme de la TGAP a consisté en une hausse crantée, entre 2021 et 2025, de la fiscalité applicable aux installations d’enfouissement – c’est-à-dire aux décharges – et aux usines d’incinération de déchets (y compris les unités de valorisation énergétique, ou UVE).
Le signal envoyé aux collectivités locales, aux entreprises productrices de déchets et aux exploitants de ces installations était clair : la priorité devait être mise sur la réduction des déchets à la source, le tri et le recyclage, et non plus sur ces modes de traitement polluants.
Pour ce qui est de l’enfouissement, les installations de stockage les plus performantes (c’est-à-dire réalisant une valorisation énergétique de plus de 75% du biogaz capté) ont vu le montant de la TGAP passer de 24€ la tonne en 2019 à 65€ la tonne en 2025 [1]. En 2025, chaque tonne envoyée en enfouissement, quel que soit le type d’installation de stockage, se voit taxée de 65€ de TGAP. A cela s’ajoute un objectif réglementaire ambitieux fixé par la loi AGEC de 2020 d’enfouir seulement 10% des déchets ménagers et assimilés (DMA) en 2035 [2], ce qui reviendrait à diviser par trois les volumes enfouis en seulement quinze ans.
Cette combinaison de taxation renforcée et de réglementation ambitieuse commence aujourd’hui à produire des effets tangibles. Après cinq années de hausse conséquente de la TGAP sur l’enfouissement, le bilan est sans appel : les tonnages de déchets enfouis – tous types de déchets confondus – sont passés de 18,8 millions de tonnes en 2018 à 14,2 millions de tonnes en 2022 [3], soit une réduction de près de 24 % en quatre ans. La hausse de la TGAP a porté ses fruits, et contribué à la diminution du nombre d’installations de stockage en fonctionnement, passées de 199 en 2018 à 165 en 2022 [4].
La nécessité d’éviter le report des tonnages vers l’incinération
Pour ce qui est de l’incinération, la loi de finances pour 2019 a acté une hausse de la TGAP pour tous les types d’incinérateurs, y compris les unités de valorisation énergétique (UVE), décision importante pour bien distinguer l’incinération d’autres solutions réellement circulaires, comme le réemploi ou le recyclage. Cependant, les montants de TGAP prévus pour les incinérateurs ont été beaucoup plus faibles que ceux prévus pour les installations d’enfouissement, et de fait, beaucoup moins incitatifs : selon les installations, la TGAP, aux montants compris entre 9 et 12€ la tonne en 2019 (hors réfaction), a évolué à un montant de 25€ la tonne en 2025 (hors réfaction), contre 65€ la tonne en enfouissement [5].
Par conséquent, les tonnages envoyés à l’incinération se maintiennent et connaissent une forte stabilité, passant de 14,7 millions de tonnes en 2018 à 14,4 millions de tonnes en 2022 [6], alors même que sur cette période le tri à la source des biodéchets commence à se mettre en place en vue de l’obligation du 31 décembre 2023.
En outre, la loi de finances pour 2019 introduit une réfaction de TGAP (autrement dit une diminution du montant de la TGAP) pour les UVE ayant un fort rendement énergétique, c’est-à-dire valorisant l’énergie produite par l’incinérateur à hauteur d’au moins 65 % [7] : la TGAP pour ces installations, comprise entre 3 et 9€ la tonne en 2019, est passée à seulement 15€ la tonne en 2025, bien loin des 25€ prévus pour les autres incinérateurs. En 2022, 70% des installations d’incinération ont atteint ce seuil de rendement énergétique et ont donc bénéficié de cette réfaction. Au total, 80% des tonnages de déchets incinérés sont concernés par cette réfaction [8], rendant de fait l’incitation de la hausse de TGAP très peu efficace.
Au-delà de ce manque d’incitativité, c’est surtout l’écart entre ces faibles montants de TGAP applicables aux tonnages incinérés (entre 15 et 25€ en 2025) et les montants plus élevés applicables aux tonnages enfouis (65€ en 2025) qui représente un risque de report des tonnages vers l’incinération. Ce report est déjà visible et dénoncé par Zero Waste France face à la multiplication des projets de nouvelles installations ou d’agrandissement d’incinérateurs existants sur l’ensemble du territoire national. Que ce soit en Bretagne (UVE de Taden, de Vannes), à Angoulême, à Créteil, en Corse ou encore à la Réunion, chaque augmentation des tonnages incinérés est aujourd’hui justifiée par le report de tonnages issus de l’enfouissement.
Pourtant, il est essentiel de réduire également les tonnages incinérés, et pas uniquement les tonnages enfouis. L’incinération est en effet un mode de traitement polluant, au même titre que l’enfouissement : elle contribue à relâcher dans l’environnement des composés toxiques (dioxines, métaux lourds, PFAS, furanes…) aux effets négatifs documentés sur l’environnement et la santé humaine.
Supprimer les réfactions et exemptions dont bénéficie l’incinération
Pour toutes ces raisons, Zero Waste France recommande à la fois de :
- continuer la trajectoire de hausse progressive de la TGAP sur l’enfouissement pour la période 2026-2030, afin de donner aux industriels et aux collectivités un horizon sur lequel se projeter, et prendre des mesures pour détourner progressivement les tonnages envoyés à l’enfouissement ;
- continuer une hausse parallèle de la TGAP sur l’incinération et éviter tout accroissement du différentiel de prix entre les deux modes de traitement. Il est nécessaire de prévoir une trajectoire TGAP sur l’incinération qui s’approche peu à peu du niveau actuel de la TGAP sur l’enfouissement (65€ la tonne en 2025).
Pour ce qui est des réfactions de TGAP sur l’incinération, à l’heure actuelle, elles incitent avant tout les collectivités à investir dans la récupération de chaleur, et non à réduire les déchets produits sur leur territoire. De fait, elles engendrent une dépendance structurelle à l’incinération, qui incite les collectivités ou opérateurs à garantir un flux continu de déchets, y compris lorsque des efforts de réduction à la source ou de tri pourraient diminuer significativement les tonnages incinérés. Pour ces raisons, Zero Waste France demande au gouvernement de supprimer dans le projet de loi de finances 2026 les réfactions existantes sur les installations à fort rendement énergétique, qui concernent la majeure partie des installations.
Certaines installations d’incinération bénéficient même d’une exemption totale de TGAP : c’est le cas des installations qui incinèrent des combustibles solides de récupération (CSR), afin de produire de l’énergie, de la chaleur ou du gaz. Là encore, cette exemption contribue à renforcer notre dépendance aux déchets pour la production d’énergie. D’autant que si l’on se penche sur leur composition, les CSR ne sont pas si différents des déchets envoyés dans les incinérateurs de déchets (UVE et UIOM) : refus de tri en collecte sélective, déchets non organiques extraits de tri mécano-biologique, déchets textiles ou bois… Techniquement, rien dans la nature des CSR ne justifie cette exemption. Pour cela, Zero Waste France recommande de supprimer cette exemption de TGAP sur les CSR.
Mettre en place des mécanismes de redistribution pour financer la prévention des déchets
En complément de ces mesures de hausse de la TGAP, il est indispensable de donner aux collectivités les moyens de réduire les déchets produits sur leur territoire. Sans de telles mesures complémentaires, la hausse de la TGAP risque d’avoir des effets contre-productifs : elle reviendrait à augmenter la pression financière sur les collectivités, qui payent la TGAP, – et donc sur les contribuables – sans leur donner les moyens de financer la réduction des déchets. L’objectif de cette hausse étant de réduire les tonnages enfouis et incinérés, elle doit obligatoirement être complétée par des mesures de redistribution financière aux collectivités pour la mise en œuvre d’actions de prévention des déchets.
Parmi les actions clés que peuvent mettre en place les collectivités locales pour réduire les déchets sur leur territoire, on retrouve notamment la mise en place de solutions efficaces de tri à la source des biodéchets, la création de plateformes de compostage et d’espaces dédiés au réemploi et à la réparation, la mise à disposition d’équipements réutilisables pour les événements, l’adaptation des cantines scolaires aux interdictions réglementaires sur les contenants en plastique à usage unique, etc.
Pour financer ces actions de prévention des déchets, Zero Waste France recommande de maintenir le Fonds Vert destiné au financement de la transition écologique sur les territoires, et de lui affecter des montants conséquents spécifiquement dédiés au financement de la prévention des déchets.
Zero Waste France soutient également certaines propositions visant à taxer les éco-organismes au regard des tonnages non collectés, non triés, non réemployés ou non recyclés, contrairement aux objectifs fixés par la loi Agec. Il s’agirait de fixer une contribution financière calculée sur l’écart des éco-organismes aux objectifs prévus dans le cahier des charges de leur filière. Ces recettes, étendues à l’ensemble des filières de responsabilité élargie des producteurs (REP) et à tous les éco-organismes n’atteignant pas les objectifs des cahiers des charges, seraient directement réaffectées pour le financement de la prévention des déchets par les collectivités locales, permettant ainsi d’encourager la mise en oeuvre de solutions ambitieuses et d’enfin réduire les tonnages enfouis et incinérés. Il s’agirait d’une application plus complète du principe pollueur-payeur, aujourd’hui restreint aux seuls volumes que réussit à collecter l’éco-organisme.
[1] BOFIP, Barème TCA – Taxe générale sur les activités polluantes
[2] Loi Agec, 2020
[3] Ademe, Enquête Traitement des ordures ménagères (ITOM) 2022
[4] Ademe, Enquête Traitement des ordures ménagères (ITOM) 2022
[5] BOFIP, Barème TCA – Taxe générale sur les activités polluantes
[6] Ademe, Enquête Traitement des ordures ménagères (ITOM) 2022
[7] Arrêté du 20 février 2023 relatif au tarif réduit de taxe générale sur les activités polluantes applicable à la réception par certaines installations de valorisation énergétique des résidus à haut pouvoir calorifiques issus d’opérations de tri performantes
[8] Ademe, Enquête Traitement des ordures ménagères (ITOM) 2022