Incinérateur de Belgrade : une étude pointe les irrégularités du partenariat public-privé

Traduit de l’anglais (article source) avec l’aimable concours de Thibault Quéré.

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En septembre 2017, la ville de Belgrade a signé un PPP d’une durée de 25 ans avec un consortium comprenant la société française Suez et la société japonaise Itochu concernant la fourniture de services de traitement et d’élimination des déchets municipaux ainsi que la construction d’un incinérateur d’une capacité de 340 000 tonnes par an.

Cependant, l’analyse montre que la ville et la Société financière internationale (IFC, membre du groupe de la Banque Mondiale), son principal conseiller en matière de transactions, ont contourné le plan officiel de gestion des déchets et les plans d’urbanisme de la ville de Belgrade (2) et ont choisi une société de projet sans exiger qu’aucun tri, recyclage ou prétraitement des déchets municipaux ne fasse partie du projet – une mesure susceptible de mettre la Serbie en conflit avec les objectifs européens relatifs aux déchets.

Le PPP s’appuie également sur un modèle de subventions obsolète qui est désormais illégal en vertu des règles de l’UE et a été approuvé en violation de la législation serbe. (3) En effet, la législation de l’UE n’autorise que les déchets biodégradables à être classés comme une ressource renouvelable, et non les déchets d’origine fossile comme le plastique. De plus, les nouveaux tarifs d’achat ne sont plus autorisés pour les grandes installations.

Le PPP est très susceptible d’empêcher la Serbie d’atteindre les objectifs de recyclage fixés par la législation européenne. Le mécanisme prévu devrait encourager une concurrence forte pour la captation des déchets et des ressources financières, empêchant ainsi le développement de systèmes de prévention, de compostage et de recyclage des déchets. Selon Eurostat, en 2017, la Serbie n’a recyclé que 0,3 % de ses déchets solides municipaux. (4)

Le financement a été approuvé par l’IFC, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et la Banque autrichienne de développement (OeEB), mais la Banque européenne d’investissement (BEI) s’est retirée de l’opération, invoquant des conflits avec les politiques communautaires en matière de déchets. (5)

Ksenija Radovanović, architecte/planificateur urbain et auteur de l’analyse, a déclaré : « Il s’agit d’un cas d’école de captation de la ressource publique par les entreprises et c’est exactement le contraire de ce que les donateurs internationaux devraient soutenir en Serbie. Le projet a été conçu selon les souhaits des partenaires privés potentiels, et bien sûr les soumissionnaires ont choisi ce qui était le plus simple et le plus rentable pour eux : l’incinération« .

Pippa Gallop du CEE Bankwatch Network a déclaré : « Les donateurs internationaux doivent aider la Serbie à appliquer l’État de droit et à travailler à une économie circulaire durable. Au lieu de cela, la BERD, l’IFC et l’OeEB, par leur promotion du secteur privé, ont fermé les yeux sur les irrégularités juridiques et maintenu Belgrade dans les logiques qui prévalaient au XXe siècle.

Le fait que la BEI s’est abstenue de soutenir le projet alors que d’autres l’ont poursuivi témoigne d’un grave manque de coordination entre les financeurs et fait peser sur la BERD, l’IFC et l’OeBB la responsabilité de se retirer du projet tant qu’elles le peuvent encore« , a-t-elle ajouté.

Janek Vahk, de Zero Waste Europe, a déclaré : « Ce projet est en totale contradiction avec la législation de l’UE sur les ressources. L’incinération et la valorisation énergétique des déchets sont les deux options les moins souhaitables pour les matériaux en fin de vie dans une économie circulaire. La façon la plus rentable de s’éloigner des décharges et d’augmenter le recyclage est de se concentrer principalement sur la collecte sélective et le recyclage, plutôt que d’investir dans la valorisation énergétique des déchets« .

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(1) La directive 2008/98/CE relative aux déchets fixe un objectif de 50 % d’ici 2020 de préparation à la réutilisation et au recyclage des déchets municipaux, tandis que la directive (UE) 2018/851 modifiant la directive 2008/98/CE fixe des objectifs de 55 % en 2025, 60 % en 2030 et 65 % en 2035. Même avec un retard potentiel de 5 à 10 ans, en fonction des négociations d’adhésion de la Serbie, l’analyse montre que la quantité de déchets nécessaire pour assurer la viabilité de l’incinérateur est susceptible d’empêcher Belgrade de contribuer à la réalisation des objectifs de recyclage du pays.

(2) La construction d’une installation d’incinération directe des déchets municipaux n’était pas conforme au plan local de gestion des déchets de la ville de Belgrade pour la période 2011-2020 ni au plan de réglementation détaillée de la décharge sanitaire Vinča de la municipalité de Grocka. Si la solution prévue par ces documents, à savoir le prétraitement des déchets pour en faire des combustibles dérivés de déchets avant leur incinération, n’est pas non plus une solution que nous soutiendrions, ces documents ont à tout le moins été adoptés selon le processus légalement défini, et le plan local de gestion des déchets prévoit un recyclage d’au moins 20% d’ici 2020. Après la signature de l’accord de PPP, la solution technologique contractuelle a été semi-légalisée en modifiant le plan de régulation détaillé de la décharge Vinča en septembre 2018, mais les plans d’aménagement du territoire et le plan de gestion des déchets de rang supérieur restent inchangés.

(3) Pour plus d’informations, voir la nouvelle analyse et aussi ici

(4) Eurostat

(5) Pour plus d’informations, voir ici